Nouvel ordre mondial
Nouvel ordre mondial
Le nouvel ordre mondial est un concept géopolitique de l'immédiat après-guerre froide. L'expression désigne alors l'alignement idéologique et politique des gouvernements et organismes mondiaux vers une certaine unipolarité, incarnée par les États-Unis. Depuis lors, elle est réemployée dans d'autres contextes où il est diversement question de consolider une gouvernance mondiale (en matière financière ou environnementale, par exemple). Un tel mouvement est explicitement revendiqué par certains hommes politiques, comme Dominique Strauss-Kahn[1],[2] ou Jacques Attali. Étant donné l'échelle envisagée et la complexité des problématiques, cela pose la question de la démocratie étant donné l'éloignement géographique des dirigeants et la technicité des sujets.
L'usage de la désinformation en démocratie sépare encore plus les dirigeants des dirigés et suscite parfois une méfiance généralisée à l'égard des dirigeants. Plusieurs théories conspirationnistes utilisent ainsi la formule « nouvel ordre mondial », parfois mentionné par son acronyme NOM (NWO en anglais). Elle désigne la prise de contrôle de l'économie mondiale par les élites conspirantes, notamment de la finance. Les théories les plus alarmistes prédisent la mise en place de régimes totalitaires dans les pays démocratiques. Certaines théories donnent un rôle prépondérant à la franc-maçonnerie, avec des tons antimaçonniques.
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Usage géopolitique de l'expression[modifier]
Utilisée pour la première fois lors d'un discours prononcé au Congrès américain le 11 septembre 1990 par le président George H.W. Bush[3], l'expression « nouvel ordre mondial » s'inscrit dans la lignée des formules exprimant l'idée de nouveauté dans la diplomatie américaine, après la « nouvelle donne » de 1932 et la « nouvelle frontière » de 1960.
« Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment exceptionnel et extraordinaire. La crise dans le golfe Persique, malgré sa gravité, offre une occasion rare pour s’orienter vers une période historique de coopération. De cette période difficile, notre cinquième objectif, un nouvel ordre mondial, peut voir le jour : une nouvelle ère, moins menacée par la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. »
— Discours du président américain George H. W. Bush au Congrès le 11 septembre 1990
Dans les relations internationales des années 1990 et 2000, les tenants de la thèse de l'« empire global » considèrent que l'emploi de cette expression par les politiques témoigne d'une volonté d'expansion de tout ce qui définissait schématiquement le modèle américain pendant la guerre froide : la démocratie et l'économie de marché. L'expression est reprise par certains altermondialistes et anticapitalistes pour dénoncer la mondialisation économique, qui serait dominée par la « pensée unique » libérale. À l'inverse, des politiciens américains comme Lawrence Patton McDonald pensent que le nouvel ordre mondial serait une fusion entre capitalisme et socialisme[4].
Théorie de l'empire global[modifier]
Les tenants de la « théorie de l'empire global » considèrent les événements politico-économiques internationaux survenus depuis 1989 comme témoins de la transition de l'humanité vers un « empire global », qui dans un premier temps correspondrait à un ordre mondial polarisé autour d'une seule puissance : les États-Unis. Cette théorie est soutenue par le philosophe Francis Fukuyama et des plans géostratégiques ont été développés dans ce sens par le politologue Zbigniew Brzeziński.
Pour maintenir leur hégémonie et devancer la prééminence de rivaux comme la Chine, la Russie ou le Japon, Brzezinski estime que les États-Unis devront s'allier avec l'Europe pour dominer l'Eurasie[5] en cooptant ou en contrôlant ses élites[6]. Pour cela, les États-Unis ont besoin d'un partenaire européen, mais comme l'Europe est trop divisée, Brzezinski est partisan d'une coopération étroite entre les trois pays d'envergure mondiale d'Europe : le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne[7]. La suprématie sur l'Eurasie est stratégique parce qu'elle contient les 3/4 des ressources naturelles en matière d'énergie et représente 60% du PIB mondial[5] et le contrôle de l'Asie centrale est un des principaux objectifs[8]. Par ailleurs, il explique qu'il n'est pas possible d'arriver à un consensus international, sauf dans le cas de la « perception d'une menace extérieure directe et massive »[9].
Contestations de la théorie de l'empire global[modifier]
Si personne ne conteste l'hégémonie des États-Unis, l'existence d'un empire américain au sens strict fait débat. Cette thèse d'une nation dominant le monde est contestée par d'autres thèses qui, au lieu d'une unipolarité, définissent le monde comme étant plutôt « multipolaire », la Chine et l'Inde étant également des pôles majeurs, qui ne sont pas toujours pris en compte par les partisans de la théorie de l'empire global. Les objections reposent également sur la thèse, notamment soutenue par Emmanuel Todd dans Après l'empire, selon laquelle les États-Unis constituent une puissance en déclin. Selon Brzezinski, la tâche d'Obama est de restaurer la légitimité américaine en étant le fer de lance d'un effort collectif pour un système de management global plus inclusif[7].
L'évolution générale du monde politique se caractérise par la naissance de grands pôles politico-économiques comme l'Union européenne, l'Union des nations sud-américaines, l'Union nord-américaine, la Communauté économique eurasiatique, etc. L'ensemble doit constituer l'architecture générale d'une gouvernance mondiale dotée d'une monnaie planétaire[10]. La gouvernance mondiale ne nécessite pas un gouvernement mondial et peut être organisée avec des institutions de coopération entre les pays[11].
Contestation de la théorie de la domination globale américaine[modifier]
À partir des années 2000, les États-Unis connaissent un certain nombre d'échecs, fréquemment associés à des erreurs commises spontanément. Ces erreurs conviennent mal à une nation disposant en théorie d'une puissance suprême, on peut citer :
- les difficultés rencontrées dans la gestion de la guerre en Irak après 7 années de présence[12]
- les difficultés rencontrées dans la gestion de la guerre en Afghanistan, après 9 années de présence
- la grave crise bancaire, économique et sociale survenue à partir de 2008, et qui, partant des États-Unis, a contaminé une grande partie de l'économie mondiale, y compris les alliés des États-Unis [13]
La suprématie du dollar comme monnaie de réserve rencontre plus d'opposition, et plusieurs acteurs mondiaux envisagent de restreindre son importance dans le commerce international[14]. Par ailleurs, la Russie, sous l'impulsion de Vladimir Poutine, retrouve une certaine vigueur économique et diplomatique[15]. Enfin l'émergence de la Chine comme nouvelle puissance économique[16],[17] contribue à rendre caduque l'unilatéralité qui avait présidé aux relations internationales dans les années 1990.
Autres utilisations de l'expression[modifier]
Depuis le discours de George H. Bush, l'expression « Nouvel ordre mondial » est régulièrement reprise dans des contextes divers, pour désigner toute réforme de la gouvernance internationale. Par exemple, avec la crise financière de 2007 et la crise alimentaire, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso parle de « nouvel ordre mondial » pour désigner un besoin de coopération internationale afin de résoudre ces problèmes[18]. Selon Dominique de Villepin, nous avons besoin d'une gouvernance mondiale pour régler les problèmes d'environnement[19].
Usage conspirationniste de l'expression[modifier]
Il existe plusieurs théories du complot utilisant la formule « nouvel ordre mondial » (qu'elles désignent par l'acronyme NWO, ou NOM en français). Elles dénoncent un projet de domination planétaire, à travers des institutions prétendument démocratiques, des institutions non gouvernementales ou bien des régimes totalitaires. En ce sens, le « nouvel ordre mondial » se rapproche du livre 1984 de Georges Orwell ou du Meilleur des mondes d'Aldous Huxley.
Selon l'historien Carroll Quigley, les élites du capitalisme financier, qu'il situe dans la période de 1850 à 1932, avaient comme ambition de créer un système mondial de contrôle financier dans les mains du secteur privé capable de dominer le système politique de chaque pays et l'économie mondiale d'un seul tenant[20]. Selon Quigley, le pouvoir est ensuite passé des banquiers aux technocrates et aux groupes de pression, faisant l'usage de propagande. Son analyse date de 1966, et depuis, un mouvement de dérégulation en faveur de la finance s'est développé ayant abouti à la crise financière de 2007-2010. La dette privée a été transformée en dette publique, et cette dernière est utilisée comme argument pour mener des plans d'austérité. Contrairement à ce qu'affirme les théories du complot, la situation n'est pas sous contrôle et ces décisions ont entrainé de nombreuses contestations populaires.
Selon certaines théories, donnant beaucoup d'importance à un groupe appelé Illuminati, il s'agit d'une conspiration pluri-séculaire, visant à la domination du monde et réalisant ses plans de manière progressive à travers l'histoire. Les événements du monde seraient ainsi orchestrés par un groupe d'individus agissant dans l'ombre, porteurs d'un projet totalitaire de longue date. Les groupes désignés comme les conspirateurs varient considérablement selon les versions. Des groupes réels, sociétés secrètes ou du monde des affaires, sont désignés comme étant le « cerveau » derrière ce vaste projet secret de contrôle du monde : les organisations et fondations élitistes internationales telles que le Council on Foreign Relations, la Commission trilatérale, le groupe Bilderberg, le Club de Rome, la Fondation Ditchley ou bien des groupes fermés comme la francs-maçons, Skull and Bones, Bohemian Club, Ordo Templi Orientis, ...
Les théories du complot affirment donc une unicité de pensée de la classe dirigeante qui est généralement discutée.
Historique de la thèse du complot du NOM[modifier]
Ces théories prétendant démasquer une conspiration planétaire sont originellement développées par plusieurs conservateurs européens et américains, adeptes des théories du complot maçonnique et de leurs dérivés. En 1912, le ministre français des Affaires étrangères Émile Flourens dénonça, dans Un fiasco maçonnique à l'aurore du vingtième siècle de l'ère chrétienne, les prémisses de la création de la Société des Nations et de la Cour permanente de justice internationale[21]. Il y voyait des influences maçonniques pour créer un gouvernement mondial, une justice mondiale et une religion globale, dans un nouvel ordre d'où le papisme serait exclu[22]. Il émit l'hypothèse que les cercles maçonniques désiraient éliminer le droit à l'autodétermination des peuples, pour le remplacer par le droit international[23]. Cependant, de nos jours, ni l'un ni l'autre ne sont respectés, comme en témoignent les fréquentes violations des droits de l'homme et l'idéologie de la guerre préventive.
Par la suite, la théorie d'un complot visant à une unification impériale du monde sera surtout le fait d'auteurs et de groupes américains de droite paléoconservateurs et anticommunistes. Larry McDonald, membre de la John Birch Society, affirma en 1983 qu'il y a eu un transfert de fonds et de technologie vers l'URSS[24], qui a eu pour effet de maintenir un ennemi et l'activité du complexe militaro-industriel. C'était donc pendant la guerre froide. Il expliqua que des élites des États-Unis voulaient créer un gouvernement mondial de tendance socialiste. William F. Jasper, autre membre de la John Birch Society, dénonça en 1983 l'appartenance socialiste ou marxiste de chaque Secrétaire général des Nations unies, et dénonce dans Global Tyranny – Step by Step: The United Nations and the Emerging New World Order une future dictature mondiale[25]. Une théorie qui se rapproche de celles soutenues par John Coleman dans Socialism: The Road To Slavery (réédité sous le titre de One World Order: Socialist Dictatorship)[26].
Plus récemment, le conservateur Gary H. Kah réhabilite la théorie du complot maçonnique dans En Route to Global Occupation, en accusant la franc-maçonnerie d'être la force derrière l'agenda pour un nouvel ordre mondial, c'est-à-dire un gouvernement mondial unique[27].
Indices du complot du NOM[modifier]
Les théoriciens du complot du NOM interprètent plusieurs événements comme les signes fragmentaires d'un plan global.
Ainsi John Maynard Keynes, principal représentant du Commonwealth lors des discussions autour de la création du système de Bretton Woods, a insisté pour la création d'une Banque de règlement internationale. Une telle banque aurait eu la prérogative d'émettre une monnaie internationale appelée le « bancor », ainsi que de financer une autorité de gouvernance supranationale[28]. Si sa démarche n'a pas eu de succès, l'équivalent d'une monnaie internationale, les droits de tirage spéciaux, fut finalement créé par le FMI en 1969. Cela pose la question du rapport entre la création monétaire et la démocratie.
Un rapport de la Commission Trilatérale de 1975, intitulé The Crisis of Democracy[29], est souvent évoqué par les théoriciens du complot pour dénoncer une dérive dictatoriale des gouvernements occidentaux. Selon ce rapport, le sentiment d'aliénation des citoyens ainsi que l'action des intellectuels menacent la gouvernance dans ces pays, qui nécessiteraient « un recours à la manipulation, au compromis et même à la coercition pour arriver à une décision »[30].
David Rockefeller dans son livre Mémoires[31], a écrit que lui-même et sa famille ont travaillé contre l'intérêt des États-Unis. Il aurait d'autre part affirmé que le but était de construire une souveraineté supranationale d'une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux[32]. Ces propos sont vus comme l'aveu d'une conspiration mondiale pour la mise en coupe réglée du monde par le pouvoir financier.
Voir aussi[modifier]
Expressions exprimant une idée de nouveauté dans les formules de la diplomatie américaine :
- la « Nouvelle donne » (1932) ;
- la « Nouvelle frontière » (1960) ;
- le Nouvel ordre mondial (1990) ;
- le « nouvel Empire américain » (2003).
Notes et références[modifier]
- FMI: Strauss-Kahn appelle à refonder la gouvernance mondiale [archive], Dow Jones Newswires, 8 décembre 2010
- A vous de juger, sur France 2, jeudi 26 mars 2009
- Texte anglais du discours Toward a new world order GW Bush 11 septembre 1990 [archive]
- Crossfire [archive], CNN, 1983 Tom Braden, Pat Buchanan,
- ISBN 0-465-02726-1), p. 31 The Grand Chessboard : American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Zbigniew Brzezinski, éd. New York, 1997 (
- ISBN 0-465-02726-1), p. 40 The Grand Chessboard : American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Zbigniew Brzezinski, éd. New York, 1997 (
- (en)Zbigniew Brezinski, Major Foreign Policy Challenges for the Next US President, Chatham House, Londres, 17 novembre 2008 p. 2-3 (pdf)/p. 54-55 (document) [archive] [pdf]
- plus précisément l'Afghanistan, l'Iran, le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Tajikistan, le Kyrgyzstan et le Kazakhstan
- ISBN 0-465-02726-1), p. 211-215 The Grand Chessboard : American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Zbigniew Brzezinski, éd. New York, 1997 (
- Pierre Hillard, La marche irrésistible du nouvel ordre mondial, Édition François-Xavier de Guibert (2007), ISBN 978-2755401998
- Alexander King et Bertrand Schneider, The First Global Revolution, Orient Longman, p. 73 : Global 'governance' in our vocabulary does not imply a global 'government', but rather the institutions set up for cooperation, coordination, and common action between durable sovereign states.
- La fin de l’empire et le nouvel ordre mondial : les USA après la défaite [archive] », 13. Consulté le 7 mars 2010 Mike Whitney, «
- A shattering moment in America's fall from power [archive] », 28. Consulté le 7 mars 2010 John Gray, «
- The demise of the dollar [archive] », 6. Consulté le 7 mars 2010 Robert Fisk, «
- Vers la fin du nouvel ordre mondial ? [archive] » sur Agoravox, 13. Consulté le 7 mars 2010 Alexandre Latsa, «
- La Chine dans le « nouvel ordre mondial » [archive], 9. Consulté le 7 mars 2010
- Soros: China Will Lead New World Order [archive] », 28. Consulté le 7 mars 2010 Joseph Watson, «
- YouTube - Sarkozy calls for EU "Economic Government"(also includes: Barroso, Farage, de Villiers) [archive], 21 octobre 2008, Parlement Européen Intervention de José Manuel Barroso
- Dominique de Villepin, ancien Premier ministre - FRANCE 24 [archive], sur France 24, 5 novembre 2008 Politiques
- ISBN 094500110X Tragedy and Hope: A History of the World in Our Time (1966)
- Émile Flourens, Un fiasco maçonnique à l'aurore du vingtième siècle de l'ère chrétienne, (1912), Texte en ligne [archive] [pdf]
- Émile Flourens, Un fiasco maçonnique à l'aurore du vingtième siècle de l'ère chrétienne, p.33, (1912), Texte en ligne [archive] [pdf]
- Émile Flourens, Un fiasco maçonnique à l'aurore du vingtième siècle de l'ère chrétienne, p.55, (1912), Texte en ligne [archive] [pdf]
- Larry McDonald à l'émission Crossfire en 1983 avec [archive] Pat Buchanan et Thomas Braden
- (en) William F. Jasper, Global Tyranny... Step by Step: The United Nations and the Emerging New World Order, 1992 Texte en ligne [archive] [pdf]
- (en) John Coleman, One World Order: Socialist Dictatorship (ancien titre Socialism: The Road To Slavery)
- Gary H. Kah, En Route to Global Occupation, Huntington House Publishers, décembre 1996
- Proposals for an International Currency Union (Second Draft, November 18, 1941) [archive] », Collected Writings of John Maynard Keynes, Vol. XXV, p. 42-66, éd. Mac Millan, 1980 D. Moggridge, «
- The Crisis of Democracy [archive]
- The Crisis of Democracy [archive], Commission Trilatérale, page 51
- Mémoires, Fallois, 12 avril 2006, 607 pages, (ISBN 2877065871)[réf. incomplète]
- Discours à la Commission Trilatérale en juin 1991 à Baden Baden, dans Matrix of Power: How the World Has Been Controlled by Powerful Men Without Your Knowledge, paru en 2000