Un ciel désespérément vide – Faut il (déjà) tirer un bilan de SETI ?
Société française d'exobiologie
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Par Louis D’Hendecourt
(Louis d’Hendecourt est directeur de recherche CNRS, au laboratoire « Astrochimie Expérimentale », Institut d’Astrophysique Spatiale, Orsay, France)
SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence) est un acronyme célèbre qui recouvre un vaste ensemble de programmes de recherche de signaux, intentionnels ou non, qui révèleraient l’existence d’êtres intelligents, sinon dans l’Univers, du moins dans notre propre Galaxie.
Cet article est paru dans une version abrégée dans Ciel et Espace, Octobre 2005
Dans la très grande majorité de la communauté des astrophysiciens, dans la littérature professionnelle comme dans celle à l’usage du grand public, la réponse ne semble faire aucun doute : si la vie procède simplement de lois physiques à priori connues ou en passe de l’être, l’immensité de l’Univers (400 milliards d’étoiles dans notre seule Galaxie), les très longues échelles de temps dont nous disposons (13.7 milliards d’années d’après les plus récentes estimations de l’âge du « Big-Bang ») et les découvertes de plus en plus fréquentes d’exoplanètes, tout laisse à penser que non seulement la vie est un phénomène banal dans l’Univers mais que l’intelligence et, par voie de conséquence, la présence de civilisations technologiques avancées, constituent un aboutissement logique de l’évolution galactique. Cette idée toute préconçue dans la pensée rationaliste et scientifique moderne semble avoir un profond effet sur une vision positiviste de la place de l’Homme dans l’Univers et de son nécessaire futur cosmique où la colonisation de l’espace est perçue comme une nécessité biologique absolue, impliquant une maîtrise de plus en plus complète de son environnement non plus planétaire mais aussi stellaire, galactique et de l’Univers entier.
Pourtant, force est de constater que cet optimiste quasi général se heurte à une série de faits simples qui, si ils ne sont pas irréfutables, devraient nous permettre à tout le moins d’approfondir nos réflexions sur le sens, l’originalité et la finalité de la vie intelligente.
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The Very Large Array of Radio Telescopes
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En effet, malgré les efforts réitérés des partisans de SETI, le ciel reste désespérément vide de signaux artificiels, aucune trace de vie n’a été détectée qui soit exogène à la Terre et, malgré d’énormes progrès concernant la biochimie prébiotique, aucun mécanisme « universel » de passage de l’inanimé au vivant n’a pu encore être démontré. Finalement, la vitalité et la pertinence de plus en plus incontournable du Paradoxe de Fermi sont de nature à faire pencher la balance vers une toute autre vision de l’Univers, un Univers dans lequel la vie est rare et l’intelligence « unique ».
Posons nous d’abord la question de la pertinence de SETI en essayant une approche plus critique sur les chances de son succès. La vie existe-t-elle ailleurs dans l’Univers ? Ses ingrédients prébiotiques (carbone réduit, molécules organiques complexes, acides carboxyliques, acides aminés, acides nucléiques) ont été largement identifiés, soit dans des objets naturels extraterrestres (le milieu interstellaire, les comètes, les météorites) soit dans des simulations où différents paramètres plausibles concernant d’éventuelles atmosphères primitives de planètes ou des processus à l’œuvre dans le milieu interstellaire prétendent dupliquer l’évolution chimique de la Galaxie. C’est une certitude, le matériau prébiotique existe en grande quantité dans l’Univers et la fréquence des planètes déduite des observations actuelles garantit à coup sûr une possibilité multiple pour l’apparition de la vie sur de très nombreuses planètes. Toutefois, à l’heure actuelle, l’importance des conditions initiales et surtout de la sensibilité à ces conditions, un paramètre décisif dans les phénomènes non linéaires probablement liés à l’émergence de systèmes auto-réplicatifs, n’est absolument pas comprise, essentiellement parce que ces conditions initiales ne nous sont, pour l’instant, pas accessibles. Que l’on réfléchisse seulement au destin des planètes sœurs de la Terre que sont Venus (une fournaise) et Mars (un désert glacé), en se rappelant que sur cette dernière planète, aucune molécule organique complexe n’a été à ce jour détectée par les expériences pourtant sophistiquées des sondes Viking. Les conditions initiales elles-mêmes sur Mars, vraisemblablement très proches de celles de le Terres semblent, avoir autorisé, aux derniers résultats de la sonde européenne Mars-Express, une rapide divergence d’évolution planétaire ayant mené au monde glacé et sans vie que l’on observe actuellement et pourtant, Mars est indubitablement notre voisine cosmique.
Vient ensuite, une fois la vie démarrée sur une planète, le long cheminement vers l’intelligence qui passe obligatoirement par le développement d’une vie eucaryote (multi-cellulaire). Si la vie semble être apparue très tôt sur Terre (au bout tout de même d’une période de près de 1 milliard d’années !), l’apparition d’organismes pluricellulaires s’est effectuée très tardivement (au cours du cambrien, c’est-à-dire vers il y a environ 1.8 milliard d’années). L’évolution des pro vers les eucaryotes a donc été un processus très lent nécessitant probablement des conditions physiques à la surface de la planète peu changeantes et une grande stabilité des facteurs extérieurs influençant ces conditions (orbite, obliquité, présence d’un champ magnétique, pour ne citer que les conditions « astronomiques »). L’apparition d’une intelligence supérieure ne se fait que dans les derniers 500000 ans (un rapport 10000 avec l’âge de la Terre) et, faut- il le préciser, la civilisation technologique maîtrisant la communication par ondes électromagnétiques n’existe que depuis…100 ans, soit un dix-millionième du temps de vie de la Terre qui aura, pendant la quasi-totalité de ce temps maintenu des conditions physiques décentes pour permettre le développement de cette intelligence qui repose sur des principes de biochimie à base de carbone qui ne tolère somme toute que des écarts de température relativement faibles.
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Capture d’écran du logiciel SETI at Home
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Bien entendu, le problème crucial qui se pose dans cette réflexion est celui concernant la contingence de l’apparition de l’intelligence. Celle-ci est elle nécessairement la meilleure réponse à la sélection naturelle de type darwinien ? Si il est difficile de répondre à cette question, il est largement permis d’en douter. Combien d’espèces ont-elles existé sur Terre ? D’après le biologiste allemand E. Mayr, on peut tabler sur quelques 50 milliards d’espèces et seule une, la nôtre, a mené à l’intelligence ! Finalement, le caractère « nécessairement » technologique d’une civilisation n’est pas acquis. Sur Terre dans les 10000 dernières années, une bonne vingtaine de civilisations n’ont pas mené à la maîtrise ni des lois physiques concernant l’électromagnétisme, ni à fortiori au développement de moyens de radio-communication. Une autre considération sévère pour SETI vient renforcer le scepticisme à propos des programmes envisagés et interpeller non seulement leurs responsables mais aussi les scientifiques insuffisamment critiques des difficultés du sujet, tient à l’inexorabilité du Paradoxe de Fermi qui ne s’applique pas seulement comme on le croit trop souvent à la présence physique d’extraterrestres de nos jours sur Terre mais aussi à la dramatique absence de détection de tout signal radio artificiel dans une Galaxie qui devrait contenir des millions de civilisations selon le célèbre astronome américain Carl Sagan. La première page du roman de Science Fiction, « Fondation » d’Isaac Asimov constitue à ce sujet une des meilleurs introductions à ce paradoxe.
Le paradoxe de Fermi propose que si on ne constate pas la présence d’extraterrestres sur Terre (et à fortiori si on ne détecte pas d’ondes radio artificielles), c’est tout simplement parce que ceux-ci n’existent pas. Pour se donner une idée de la puissance du paradoxe, il suffit de constater l’accélération fantastique des progrès scientifiques et techniques réalisés au cours des 50 dernières années. Les vols spatiaux sont devenus accessibles (ce qui était impensable durant la seconde guerre mondiale) et les ingénieurs astronautiques envisagent sérieusement la possibilité d’envoyer des sondes interstellaires d’ici un ou deux siècles. La colonisation de la Galaxie, vue de notre civilisation terrestre, semble donc être, une fois notre intelligence acquise, une échéance de quelques millions d’années. Bien entendu, il est plus que probable qu’il existe des millions de planètes fort semblables à la Terre et qui auraient pu permettre le développement de la vie, d’une intelligence et l’apparition de civilisations technologiques bien plus anciennes que la nôtre. L’absence d’évidence serait elle l’évidence de l’absence ?
Dans les discussions sur la résolution du Paradoxe de Fermi ou de l’équation de Drake (une équation simple et pédagogique qui permet de poser le problème du nombre de civilisations présentes en ce moment dans notre Galaxie), il existe une grande inconnue qui est la durée d’une civilisation technologique ou encore la durée de vie d’une espèce animale (nous en l’occurrence). Si une espèce a une courte durée de vie (10000 ans), alors nous sommes seuls dans l’Univers au temps T (c’est-à-dire maintenant). Si cette durée est longue, progressivement, l’équation de Drake autorise des solutions moins désespérantes. Toutefois, bien qu’il soit extrêmement difficile d’évaluer avec certitude la durée de vie d’une espèce (ou d’une civilisation), il faut savoir que l’utilisation du principe de Copernic qui suppose que nous vivons un instant totalement quelconque de notre propre civilisation (et de l’histoire de l’Univers), se traduit par la possibilité d’en estimer l’intervalle de confiance de sa durée effective. Cet intervalle reste court, à l’échelle de la durée de l’Univers, et est compris entre 0.2 et 8 millions d’années (Gott, 1993). Rappelons tout d’abord que le principe copernicien est le fondement même de l’astronomie moderne et est sans cesse donné par les enthousiastes de SETI pour démontrer le bien fondé de leurs conjectures, à savoir que si il y a de la vie sur une planète banale, il doit nécessairement y en avoir n’importe où ailleurs. A l’évidence, l’application du Principe de Copernic est cruel, car il laisse fort peu de place à la possibilité de détecter et surtout de communiquer avec une civilisation extraterrestre, Gott estimant ce nombre de civilisations au plus a 121, avec des hypothèses pourtant particulièrement favorables.
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Enrico Fermi dans les années 1940
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SETI est il pour autant inutile ? Il faut noter tout d’abord que le Paradoxe de Fermi conçu initialement sous une forme forte (présence physique d’extraterrestres sur Terre), peut se concevoir sous une forme plus faible (la détection d’ondes radio artificielles), voire même très faible, la simple détection de vie extraterrestre, sur Mars ou sur une exoplanète, deux objectifs à court terme de l’astronomie d’aujourd’hui, et que ce dernier aspect est largement à notre portée. La détection d’ondes radio artificielles, que F. Drake avait annoncé avec une imprudente certitude pour l’an 2000 n’a pas produit le moindre résultat exploitable. Bien entendu de très grandes difficultés stratégiques et techniques propres à SETI restent indécidables, recherche en mode « survey », recherche focalisée sur des étoiles données et proches (cette dernière possibilité étant largement contestable si l’on s’en tient au Principe de Copernic), fréquences à utiliser et signification des signaux à détecter, rendent cette approche particulièrement hasardeuse. Cependant, si SETI est une opération réellement scientifique, non seulement dans sa méthodologie et ses prémisses, elle doit l’être aussi dans son évaluation critique des résultats négatifs. En astronomie, un résultat négatif est toujours pris en considération. L’absence de telle ou telle molécule dans l’enveloppe d’une étoile conduit toujours à remettre en question les modèles, les calculs et parfois même les théories sous-jacentes. Qu’il en soit donc de même pour SETI ! Que les observations dégagent des limites supérieures à la présence de vie intelligente dans notre Galaxie, qu’elles remettent en cause un par un les termes de l’équation de Drake, qu’elles incluent le Principe de Copernic en sa faveur comme en sa défaveur avec honnêteté et humilité.
Il a souvent été souligné que la détection d’intelligence extraterrestre serait la plus grande découverte philosophique offerte à l’humanité. J’adhère entièrement à cette formulation à condition que l’on puisse admettre, sans peur ni à priori, exactement l’inverse. Si nous sommes seuls dans l’Univers, alors il faudra sans doute affronter cette responsabilité ultime, celle de commencer dés à présent à préserver la vie sur notre unique, si unique planète.
Référence
Gott, R. : 1993, « Implications of the Copernican principle for our future prospecs », Nature, 363, 315-319