Les galaxies dans l'Univers et leurs évolutions
Les galaxies dans l'Univers et leurs évolutions :
L'évolution des galaxies dans l'Univers - 12/10/2006
Comprendre la formation et l'évolution des galaxies c'est remonter à nos origines les plus ultimes. C'est dans les étoiles qui peuplent les galaxies que sont formés tout au long de la vie de l'Univers les éléments chimiques de plus en plus complexes qui ont formé les planètes dont une au moins abrite la vie. Une galaxie est une machine complexe faite de milliards d'étoiles, de gaz et de poussières, elle interagit avec son environnement dans des rencontres qui peuvent être violentes, elle peut abriter un trou noir très massif en son cœur.
Figure 1 : Quelle est l'histoire de l'évolution des galaxies, depuis des galaxies en grumeaux peu de temps après le Big Bang (gauche) qui connaissent des rencontres violentes (centre), avec des galaxies aux bras spiraux bien réguliers au bout de l'évolution
© Clichés télescope spatial Hubble et ESO-LAM
Une des questions majeures de l'Astrophysique moderne est de comprendre quelle est la séquence d'évolution qui a conduit aux galaxies que l'on observe aujourd'hui, comme la Voie Lactée, notre galaxie. Des moyens d'observations importants sont en place pour sonder l'Univers et son contenu en galaxies à différentes époques. En remontant le temps grâce à la vitesse finie de la lumière, nous sommes en effet capables de retracer plus de 13 milliards d'années d'évolution.
La cosmologie observationnelle est un domaine fascinant ou l'exploration de territoires vierges fait partie du quotidien des chercheurs. Les questions posées sont fondamentales et touchent à nos origines : comment se sont formées les premières étoiles et galaxies, quelle est la séquence d'évolution qui a conduit a des galaxies comme notre Voie Lactée, et qui a produit in-fine la vie sur une planète orbitant autour d'une étoile fabriquée par cette gigantesque machine Univers ?
Nous vivons des années extraordinaires. Pour la première fois nous avons élaboré un modèle d'Univers qui rend compte de l'essentiel des observations, basé sur la théorie du Big Bang. Après des décennies de controverses, il semble que nous ayons une mesure précise de l'âge de l'Univers avec 13,7 milliards d'années, et de son contenu fait de 4% de matière « baryonique » les atomes et molécules que nous connaissons bien, de 22% de matière sombre dont les effets gravitationnels se font imperturbablement sentir, et de 74% d'énergie dite sombre, apparentée à une mystérieuse énergie du vide (Figure 3).
Figure 3 : Composition de l'Univers, 4% seulement sous forme des atomes que nous connaissons, 22% sous forme de matière noire dont nous pouvons mesurer les effets gravitationnels, et les 74% restants sous forme d'une mystérieuse énergie noire.
Si l'on mettait ces ingrédients et quelques autres dans une éprouvette, en accélérant le temps on devrait obtenir toute la « soupe cosmique » des étoiles et autres galaxies. Tout pourrait être parti des minuscules fluctuations dans la densité de l'Univers, après les toutes premières phases d'inflation puis de recombinaison. Ces fluctuations sont maintenant observées dans la carte du fond de ciel cosmologique dont la température de 2,7 degrés au dessus du froid absolu (soit environ -270 degrés Centigrades !) est le résidu fossile de l'explosion primordiale exactement prédit par la théorie du Big Bang. Cette température n'est en effet pas uniforme, on mesure des fluctuations de température infimes de l'ordre de 1/100000ième de degré.
Figure 4 : Cartographie complète du ciel mesurée dans une longueur d'onde millimétrique par WMAP mettant en évidence les fluctuations de températures du résidu de l'explosion primordiale, véritables noyaux de condensation a partir desquels les galaxies se sont formées
Le satellite COBE, puis WMAP ont produit des cartes détaillées de ces fluctuations sur tout le ciel (Figure 4), et l'on attend impatiemment le lancement du satellite européen Planck pour des mesures encore plus précises. L'incroyable est que dans ces fluctuations de température l'on puisse extraire les paramètres fondamentaux qui décrivent notre Univers : son âge, la quantité de baryons et de matière noire, la part de cette fameuse énergie noire, ainsi que l'époque dite « de ré-ionisation ». Chaque petite fluctuation présente dans cette carte qui représente l'Univers 300000 ans après le Big Bang va ensuite évoluer sous l'action de la gravité, et constituer un halo de matière qui grossit en avalant ses voisins. C'est à cette époque que l'on pense que les premières étoiles et galaxies on pu commencer a s'assembler et que leur luminosité a pu dissiper les voiles de l'âge noir. Dans chaque halo de matière, une partie se condense à un point tel que des réactions thermonucléaires s'enclenchent et que les premières étoiles naissent, une autre partie importante restant sous forme de matière noire (qui ne rayonne pas) assurant la cohésion de l'ensemble.
Figure 7 : Une des tranches du sondage 2dFGRS réalisé en mesurant les distances de plus de 250000 galaxies (points bleus) dans un volume de plus de 1,5 milliards d'années autour de nous. La distribution des galaxies en filaments, amas et autres structures complexes est évidente.
Les galaxies s'assemblent en groupes et en amas, en filaments, des régions de l'Univers restent vides, ainsi né la structure complexe de l'Univers observée par les grands sondages de galaxies dans notre environnement proche (sondages 2dFGRS, Figure 7 ; Sloan Digital Sky Survey). Le devenir de l'Univers dépend de la quantité de matière totale présente dans l'Univers. Les mesures de l'expansion de l'Univers avec WMAP, avec les balises que sont les Supernovae et avec le cisaillement gravitationnel produit sur la propagation de la lumière par la matière sur la ligne de visée, indiquent un univers dominé a 74% par l'énergie noire, 22% par la matière noire et 4% par l'ensemble de la matière telle que cette qui nous entoure. Autrement dit, 74% du contenu de l'Univers nous est totalement inconnu, nous avons des idées mais aucune preuve pour 22%, et nous nous attachons à mesurer avec précision l'ensemble des étoiles et galaxies qui constituent les derniers 4% en espérant obtenir des informations indirectes sur les 96% restants !
Les simulations numériques utilisant les super-calculateurs les plus puissants du monde font office d'éprouvette pour les apprentis faiseurs d'Univers. On injecte tous les ingrédients qui caractérisent l'Univers, on ajoute la gravitation, les processus physiques qui régulent la formation et la mort des étoiles, et les interactions diverses entre étoiles, gaz et poussières. Le résultat est étonnant de précision, les simulations reproduisent les observations avec un luxe de détail. Le « Millenium run », la plus grande simulation à ce jour conduite par le consortium VIRGO contient plus de 10 milliards de particules qui ont évolué dans les mémoires des superordinateurs pendant plusieurs semaines.
Figure 5 : Simulations numériques du Millenium produites par la collaboration VIRGO. De gauche à droite, les fluctuations initiales se développent au cours du temps sous l'action de la gravité pour former l'ensemble des galaxies et du tissu de grandes structures observées aujourd'hui ; plus de 13 milliards d'années se sont écoulées entre les deux extrêmes de cette séquence.
Pour autant, aussi spectaculaire que soient ces résultats pour reproduire les grandes lignes (Figure 5, Figure 6), ils sont loin de reproduire l'ensemble des observables et de nombreuses zones d'ombre demeurent, en partie parceque les ordinateurs ne peuvent représenter chaque galaxie que par quelques particules, mais aussi par notre ignorance des phénomènes fins qui régissent la physique des galaxies.
Figure 6 : La simulation du Millenium montre bien la complexité de la structure de l'Univers. Aux très grandes échelles l'Univers est uniforme, alors qu'a des échelles de la taille des amas de galaxies la distribution de matière est très inhomogène.
Est-ce vraiment suivant ce scénario théorique soutenu par ces simulations que les choses se sont réellement passées ? La seule réponse vient de la confrontation sans cesse raffinée entre les prédictions des modèles théoriques et les observations. Les observables qui contraignent l'évolution des galaxies viennent aujourd'hui principalement de l'observation du fond diffus cosmologique, c'est-à-dire des fluctuations de densité présentes au tout début de la vie de l'Univers, et des grands sondages de galaxies dans notre environnement proche, montrant le résultat de l'évolution de ces fluctuations après plus de 13 milliards d'années. Que s'est-il passé entre les deux ? Les observations aujourd'hui sont très partielles.
Le ciel nous entourant vu par le sondage Sloan Digital Sky Survey : les positions dans l'Univers de plus de 200000 galaxies
La cartographie de l'Univers est complète pour les galaxies plus brillantes que notre Voie Lactée jusqu'à environ 3 milliards d'années dans le passé, avec les positions de plus de 250000 galaxies mesurées. Quid des 10 milliards d'années restantes ? Les sondages de l'Univers sont l'outil majeur d'exploration, mais la sensibilité et l'efficacité des télescopes actuels ne permettent pas de mesurer les positions des milliards de galaxies dans l'Univers depuis la ré-ionisation. On a alors recours a des techniques de forage, on l'on explore des cônes d'Univers plus ou moins grands, en espérant qu'ils soient représentatifs. Dans chaque cône on sonde une continuité d'époques, depuis notre environnement immédiat, jusqu'à une époque définie par la profondeur, la luminosité des objets observés.
Ces galaxies sont observees avec un télescope de 2.5m
Les astronomes ont en effet le grand privilège d'utiliser une machine a remonter le temps très performante, la vitesse de la lumière étant finie (~300000km/s), plus les objets sont loin, plus la lumière qu'ils émettent met du temps a nous parvenir, et donc plus nous les observons lorsqu'ils étaient plus jeunes. Ce carottage permet de déterminer et de comparer les propriétés des galaxies à différentes époques. Ce ne sont évidemment pas les mêmes galaxies, mais si l'on a bien construit un échantillon représentatif, sans introduire de biais d'observation, on peut directement comparer les propriétés moyennes des populations a différentes époques et déduire quelle a été leur évolution.
Un des premiers sondages réellement représentatifs a été le Canada France Redshift Survey, ou les distances de plus de 600 galaxies ont été mesurées jusqu'à une profondeur remontant plus de la moitié de l'âge de l'Univers, programme que j'ai eu le privilège de conduire avec des collègues canadiens et français. Pour la première fois nous avons mis en évidence sans ambiguïté et de façon quantitative l'évolution des propriétés des galaxies : la luminosité, le contenu en étoiles, le regroupement dans l'espace, évoluent de façon substantielle. Pas vraiment de surprise, mais un soulagement de confirmer par des données d'observations dûment validées ce qui était en gros attendu par les modèles. Certains éléments ont surpris, en particulier la forte évolution du taux de formation d'étoiles mesuré jusqu'à dix fois plus important lorsque l'Univers avait la moitié de son âge actuel que maintenant.
Figure 8 : Image la plus profonde du ciel réalisée par le télescope spatial Hubble
Depuis ce programme pionnier, deux grandes motivations ont poussé le développement d'instruments encore plus performants : trouver des galaxies toujours plus loin pour remonter aux premiers objets qui ont du apparaître dans l'Univers lors de l'époque de réionisation, et cartographier de grands volumes d'Univers à toutes les époques le long de la flèche du temps. Traduit en contraintes techniques pour les observatoires, cela implique d'accroître la capacité des télescopes à capturer de très faibles flux lumineux et de pouvoir mesurer beaucoup de galaxies. Il y a le spectaculaire télescope spatial Hubble, qui a produit les images les plus profondes de l'Univers (Figure 8). Pendant les douze dernières années une nouvelle génération de très grands télescopes a vu le jour, en particulier les deux télescopes Keck sur le Mauna Kea à Hawaii, chacun avec un miroir collecteur de 10m de diamètre, et les quatre télescopes du Very Large Telescope de l'Observatoire Européen Austral au Chili chacun d'un diamètre de 8m. Je me souviens de l'émotion qui m'a saisi lorsque j'ai vu l'un des grands miroirs de 8m lors de son polissage par la société Sagem-Reosc, plus de 50 mètres carrés de surface collectrice poli avec une précision telle qu'à l'échelle de la terre les irrégularités du miroir ne seraient que de quelques centimètres ! Emotion de nouveau en contemplant les 4 télescopes VLT depuis la plateforme de l'Observatoire Paranal, véritable cathédrale de la science, fenêtre sur l'Univers.
Figure 2 : Mille spectres de galaxies très distantes obtenus avec l'instrument VIMOS sur le Very Large Telescope de l'Observatoire Européen Austral. Chaque spectre contiens l'information de distance et de composition en gaz et étoile d'une galaxie (encart à droite : agrandissement d'un spectre)
Seul, un télescope n'est rien, il faut équiper son plan focal d'instruments toujours plus sophistiqués.(Fig.2) Pour sonder l'Univers, j'ai proposé d'équiper l'un des télescopes de 8m du VLT d'un spectrographe multi objets capable de mesurer la distance et les propriétés de plusieurs centaines de galaxies simultanément. L'instrument VIMOS (pour Visible Multi-Object Spectrograph) a été conçu et réalisé avec une équipe d'ingénieurs surdoués, sous ma responsabilité. Probablement le meilleur de sa catégorie, VIMOS exploite pleinement l'œil gigantesque du VLT, plusieurs centaines de spectres simultanés, des centaines d'heures d'observations pour placer la communauté des astronomes européens en situation de leadership mondial dans les sondages de l'Univers profond. Aujourd'hui plusieurs programmes de grands sondages sont en cours, un peu à la manière des poupées russes, sondages couvrant beaucoup de surface du ciel mais peu profonds, couplés a des sondages très profonds sur une petite surface.
Le sondage VIMOS VLT Deep Survey que je conduis avec une équipe de plus de 30 chercheurs, étudiants et post-doctorants, assemble des informations de distance sur plus de 100000 galaxies, dans plusieurs cônes couvrant plus de 90% de l'évolution de l'Univers. Nous avons montré comment les galaxies évoluent différentiellement suivant leur luminosité ou leur type elliptique, spiral ou irrégulier. Certains résultats sont particulièrement spectaculaires. Nous démontrons que d'importants effets d'environnement façonnent les galaxies, avec les galaxies elliptiques préférentiellement dans les régions les plus denses, relation qui n'est pas innée mais se construit au cours du temps. De façon surprenante, nous avons trouvé d'avantage de galaxies dans l'Univers très distant, 1 à 2 milliards d'années après le Big Bang, que ce que laissaient supposer les précédents sondages.
Figure 9 : Galaxies très distantes identifiées par le sondage VVDS (cerclées), en nombre plus important que ce que l'on supposait auparavant (image CFHT-LS).
Nous avons montré que cela était probablement du au biais observationnel important de ces sondages, et que donc l'Univers était capable de former d'avantage d'étoiles dans des galaxies massives que ce que l'on supposait jusqu'à présent (Figure 9). De nombreux autres résultats sont en train d'être produits par ce sondage VVDS, ainsi que par d'autres sondages complémentaires conduits en particulier par l'équipe DEEP2 sur le télescope Keck.
Que nous réserve le futur ? La course à l'instrumentation continue. Nous sommes dans une phase sans précédent dans l'histoire de l'astrophysique, quasiment tous les domaines de longueur d'onde sont accessibles à l'observation depuis les ondes radio, jusqu'au rayons X, en passant par le domaine visible et proche infra-rouge. Plusieurs nouveaux observatoires vont voir le jour dans les prochaines années. ALMA est un grand réseau d'antennes sensibles au rayonnement sub-millimétrique pour voir les premières étoiles enfouies dans leurs cocons de poussières jusque dans des galaxies très distantes.
Figure 10 : Futur télescope spatial James Webb, dont le lancement est prévu en 2014. D'un diamètre de plus de 6m, équipé d'une caméra et d'un spectrographe infrarouge, il devrait permettre de voir les premières galaxies qui sont formées dans l'univers.
Le James Webb Space Telescope (Figure 10) va succéder au télescope Hubble : avec un miroir de plus de 6m de diamètre dans l'espace, une sensibilité aux infrarouges, et un spectrographe multi-objet , le domaine va une nouvelle fois être révolutionné en permettant de suivre le rayonnement décalé vers le rouge des galaxies juste après ou pendant la réionisation, à des redshifts de 10, 15 ou plus. A plus long terme, la construction d'une nouvelle génération de télescopes au sol, avec des diamètres collecteurs gigantesques atteignant 30 à 50 mètres, va être lancée. Le pouvoir collecteur est tel que l'on espère pouvoir observer en détail la genèse des premières galaxies.