Bioastronomie - Survivre dans le permafrost - L'animation suspendue

 

http://www.astrosurf.com/luxorion/bioastro-vie-permafrost.htm

Survivre dans le permafrost

L'animation suspendue

Au cours des conférences qui se sont tenues en 2002 suite à la mission Mars Odyssey, l'exobiologiste Gene D. McDonald et ses collègues du JPL se sont interrogés sur les possibilités de vie sur Mars dans les conditions actuelles. Ils démontrèrent que certains acides aminés telle l'acide aspartique pouvait servir d'horloge biologique et aider les scientifiques à déterminer si la vie a existé sur Mars, et même si elle survit encore dans le permafrost (pergélisol). McDonald réintroduisit l'idée d'animation suspendue, un concept connut depuis longtemps des auteurs de science-fiction. De quoi s'agit-il ?

McDonald et ses collègues tentent d'apporter la preuve que des organismes unicellulaires comme les bactéries, les archaéens ou les champignons (fungi) sont capables de réparer les dommages cellulaires durant des dizaines de milliers d'années et peut être plus longtemps encore, après avoir été congelés et qu'ils soient devenus aussi dur que de l'acier.

Erosion du permafrost côtier d'Arctique. Celui-ci est recouvert de végétation en surface. Il est constitué de glace, de roche et de terre. Document NETL.

Si cette découverte est confirmée elle étend les biotopes froids susceptibles d'abriter des formes de vie bien au-delà des espérances les plus optimistes. Non seulement la vie serait possible sur les exoplanètes froides mais également dans le sous-sol des régions polaires ou des cratères glacés qui ne voient jamais la lumière du jour.

Le permafrost représente la couche de terre ou de roche superficielle qui ne dégèle jamais. Il peut contenir jusqu'à 30% de glace ou pas de glace du tout. Le permafrost est surtout étudié dans le cadre du réchauffement global de la planète.

On en trouve dans toutes les régions polaires, dans les montagnes de Suède, en Norvège, dans toute la Sibérie, au nord du Canada, en Alaska et bien sûr en Arctique et en Antarctique. Située en général assez profondément sous la couche de neige fraîche et de glace, la couche de permafrost peut atteindre plusieurs mètres d'épaisseur et présente généralement une température inférieure à -10°C. Le sol étant gelé en permanence, même en été, pratiquement aucun organisme ne peut survivre sous un tel régime. Mais bien que les conditions de survie soient extrêmes, elles n'empêchent pas une certaine activité biologique. Les créatures que l'on rencontre en ces lieux sont pour la plupart des colonies d'unicellulaires, des bactéries que le froid ne rebute pas.

A gauche, cette coupe verticale dans le permafrost fait apparaître une couche de glace indétectable de la surface. Ce coin de glace (ice wedge) peut localement plonger profondément sous la terre et s'étendre sur 100m de longueur et plus de 30m de largeur. Ces blocs de glace se développent en quelques centaines d'années, l'eau pénétrant dans les failles et les fissures et gèle à quelques mètres de profondeur. A droite le permafrost de Scandinavie. Document NASA et UWSP.

Nous savons depuis environ un siècle que les organismes peuvent survivre dans le permafrost de Sibérie. On ignore exactement comment ils survivent mais il apparaît que même dans le permafrost, leurs facultés métaboliques ne sont pas totalement suspendues.

Dans ce milieu, si tous les processus vivants semblent s'être arrêtés, figés par le froid, certains organismes restent animés d'un léger souffle de vie. On a découvert que des organismes prisonniers de la terre gelée continuaient à être bombardé de rayonnement émis par des éléments présents dans la terre elle-même et y survivaient. On parle d'animation suspendue plutôt que de stase, car dans le premier cas toutes les fonctions biologiques ne sont pas interrompues contrairement à la stase chère à nos écrivains de science-fiction.

Nous savons par ailleurs qu'au-dessus de la température du 0° absolu (-273.15°C), toutes les molécules vibrent légèrement. Ainsi, les molécules d'ADN et toutes les autres macromolécules essentielles à la vie continuent à s'animer et de supporter une faible activité afin de conserver l'intégrité de la cellule. En effet, si les organismes veulent survivre durant de longues périodes de temps, ils doivent trouver un moyen pour maintenir un minimum d'activité cellulaire afin d'entretenir la cellule et éviter qu'elle ne périsse en raison d'un manque d'entretien.

McDonald pense qu'il existe dans le permafrost Sibérien des organismes qui ont été enterrés puis congelés voici des dizaines ou des centaines de milliers d'années et dont l'activité métabolique est jugée inactive. Dans ce contexte, il s'est alors demandé comment réagirait la cellule face aux dommages occasionnés par le rayonnement ? Ces cellules seraient-elles encore capables d'éliminer leurs déchets, de réparer les brins d'ADN ou une paroi cellulaire endommagée par exemple ? Quelle quantité de radiation une cellule congelée peut-être encore supporter ?

Pour répondre à ces questions, il faut trouver un marqueur biologique temporel capable d'identifier le taux auquel se manifeste un changement moléculaire.

Vue d'avion d'une région de permafrost sur le plateau de Peat dans le Manitoba au Canada. Doc SOCC.

Nous savons par exemple que les acides aminés sont des molécules asymétriques, elles sont soit lévogyres (L) soit dextrogyres (D). Au-dessus d'un certain seuil de température, toute molécule d'acide aminé peut spontanément passer d'une forme dextrogyre en lévogyre et vice versa au cours d'un processus appelé la racémisation. Quelle que soit la concentration initiale d'un acide aminé donné dans un milieu, au bout d'un certain temps, un équilibre va s'établir et on découvrira que le milieu contient un nombre approximativement égal des deux espèces d'acides aminés.

La vitesse de ce processus varie en fonction des acides aminés, de la température ainsi que d'autres paramètres environnementaux. Pratiquement, cette vitesse varie de quelques heures dans une eau acide bouillonnante à plusieurs milliards d'années dans une couche sédimentaire sèche et froide.

Nous avons expliqué dans un autre article consacré à la chiralité, que ce processus qui se produit de manière tout à fait ordinaire en chimie est incompatible avec la biologie. En effet, les protéines qui bâtissent les organismes vivants sont incapables de construire quoi que ce soit si elles sont constituées d'acides aminés dextrogyres, la forme D. Toutefois, les réactions chimiques produisent continuellement et sans discernement les deux énantiomères. La nature a donc fait en sorte que les organismes disposent d'enzymes capables de différencier les deux formes d'acides aminés et débarrassent la cellule des formes dextrogyres qui pourraient lui être fatale (sauf pour certaines fonctions bien spécifiques comme l'hélice de l'ADN ou la paroi cellulaire qui a conservé des acides aminés dextrogyres).

Ces enzymes sont si efficaces que dans un organisme vivant, la quantité d'acides aminés dextrogyres est pratiquement nulle et ce rapport L/D se maintient de manière stable.

L'acide aspartique D (asp d), de formule C4H7NO4.

Ce processus peut donc servir d'horloge biologique pour dater l'âge de la mort des cellules présentant une activité moléculaire suspendue suite à la congélation. Dès l'instant où le processus de réparation cellulaire s'interrompt, l'horloge se met en route et la quantité d'acides aminés dextrogyres commence à augmenter. C'est cette méthode qu'a utilisé McDonald et son équipe pour étudier la racémisation des acides aminés présents dans les organismes prisonniers du permafrost Sibérien.

Ainsi, si nous connaissons la température du milieu et si on peut mesurer le taux de racémisation de l'acide aminé le plus rapide, l'acide aspartique par exemple, cet élément devient un marqueur biologique très efficace. Son horloge peut facilement être calibrée avec du carbone-14 dont le taux de radioactivité décroît de manière bien déterminée dès la mort de l'individu concerné.

Actuellement, grâce à cette horloge d'acide aminé on a découvert que les échantillons avaient été continuellement refroidit à une température de -19°C. Or la température actuelle du permafrost Sibérien est de -13 à -11°C seulement. Exprimés en température, ces 6 à 8 degrés d'écart signifient que le permafrost contenait jadis moins d'acide aspartique dextrogyre qu'aujourd'hui. Comment expliquer ce changement ?

S'il y a moins d'acide aspartique dextrogyre que prévu en l'absence d'activité biologique, la seule explication logique est que les organismes se sont débarrassés de ces acides aminés dextrogyres. Soit les enzymes ont convertit les acides aminés D en L ou les ont brisés pour les recycler dans d'autres molécules.

Cette sorte de "maintenance" moléculaire peut s'entretenir de deux manières. Première possibilité, le permafrost s'est réchauffé périodiquement, décongelant les organismes gelés. Mais des recherches indépendantes ont montré que les échantillons de permafrost ne présentaient qu'une très faible activité moléculaire. Deuxième possibilité, les organismes ont continué à éliminer l'acide aspartique dextrogyre, même aux températures du permafrost. Ce processus aurait été ralenti mais il est stable. En corollaire, si les organismes ont été capables d'assurer ce travail pour l'acide aspartique, McDonald suggère qu'ils auraient tout aussi bien pu assurer ce travail pour l'ADN et d'autres biomolécules essentielles. Toutefois cela reste à démontrer. McDonald estime que les organismes vivants dans le permafrost peuvent assurer cet entretien moléculaire durant plus de 30000 ans. Bien qu'il ne puisse encore le prouver, il pense que durant cette période il n'y a pour ainsi dire pas de division cellulaire et pratiquement aucun déchet du métabolisme. La population de cellules est donc fondamentalement la même que celle qui fut piégée à l'époque où le permafrost s'est formé.

Mais comment ces créatures résistent-elles au froid quand on sait qu'au moment de la congélation, l'eau quitte la cellule par osmose, les traces éventuelles se glacent, augmentent de volume et détruisent par conséquent l'organisme ? De plus, pour les animaux supérieurs, sans respiration et sans flux sanguin, la mort est la seule issue envisageable. Pourtant nous avons vu à propos de la faculté d'adaptation que divers organismes, y compris des reptiles survivent aux grands froids.

A gauche, un rotifère bdelloide encysté quelques minutes après avoir été réhydraté. Il reprend lentement sa forme allongée. A droite, cette grenouille des bois d'Amérique du Nord peut survivre après avoir été gelée. Ses tissus contiennent de grandes concentrations de sucres simples (glucose et trehalose) qui préservent ses cellules. Documents Microscopy UK et U.Cambridge.

Plusieurs méthodes existent en effet pour éviter que l'organisme ne dépérisse. La plus simple est d'évacuer toute l'eau et les fluides contenus dans la cellule avant la congélation. L'organisme peut accumuler des sucres puis se déshydrate avant de passer dans une sorte d'état d'hibernation qui durera autant de temps que nécessaire, parfois des milliers d'années. Mais durant cette période l'animal est quasiment inerte et son métabolisme est réduit au stricte minimum; seul le cerveau présente encore une activité électrique. Quand il s'agit d'une bactérie on peut la juger inerte. C'est cette méthode que les scientifiques utilisent en cryogénie, lorsqu'ils veulent conserver des organismes par -40°C sans affecter leur fonctions vitales. 

Si l'organisme veut rester actif, il peut également se protéger du froid en accumulant du sucre (glycol, saccharose) ou des protéines antigel pour abaisser le seuil de congélation. Cette méthode est la plus utilisée et permet aux organismes, y compris à de petits vertébrés, de résister aux températures du permafrost, les liquides cellulaires restant fluides jusqu'à -8 ou -16°C.

De manière générale on constate donc qu'il existe des créatures capables de survivre sous les rigueurs du permafrost et qu'il s'agit d'un milieu loin d'être privé de vie malgré les apparences.

Le permafrost martien

A l'heure actuelle, très peu d'articles ont été écrit sur la relation entre ce phénomène et ses conséquences exobiologiques pourtant évidentes. Les seules et rares études concernant ces questions sont entreprises par Imre Friedmann, écologiste microbien et astrobiologiste au centre Ames de la NASA. Complété par les découvertes de Gene McDonald, ces travaux permettront un jour aux explorateurs qui poseront le pied sur Mars de mettre en pratique une méthode leur permettant de tracer l'activité microbienne dans le permafrost martien, comme par exemple sous les grandes étendues de pack aujourd'hui recouvertes de sable découvertes près du site de Elysium Planitia en 2005.

Rien ne prouve que ces deux sites, Utopia Planitia et Elysium Planitia contiennent du permafrost, mais vu les conditions météo régnant à la surface de Mars et l'aspect de leur surface, l'idée est tout à fait plausible. A gauche on distingue des traces de givre carbonique au petit matin, à droite ce qui ressemble à un pack morcellé recouvert de sable. Selon Gene McDonald et Imre Friedmann il n'est pas impossible que des micro-organismes survivent dans ce milieu hostile. Seul un forage permettrait d'en apporter la preuve. Documents NASA/NSSDC et ESA/Mars Express.

Selon Friedmann, l'horloge d'acide aminé pourrait permettre de déterminer si la vie a existé sur Mars ou même si des organismes vivants survivent encore de nos jours dans le permafrost martien.

Seule difficulté, nous ne connaîtrons pas le résultat d'ici demain. Pour cela, nous devons aller sur Mars, forer la surface pour atteindre le permafrost et ramener un échantillon pour analyse. Il ne s'agit donc pas d'un projet que l'on pourrait planifier pour l'année prochaine. Techniquement parlant, la préparation d'une telle mission peut durer dix ans et devrait tirer avantage des toutes dernières découvertes de l'exploration de Mars.

Forer le sol de Mars serait une grande première car jusqu'à présent les robots Viking et autre Opportunity se sont contentés de ramasser un peu de sable ou de polir quelques roches à la recherche d'activité organique de surface ou de traces fossilisées. Un forage constituerait une nouvelle étape et serait d'autant plus intéressant que sous la pression atmosphérique actuelle, Mars ne peut pas conserver d'eau sous forme liquide en surface. En revanche, à grande profondeur sous la surface, nous pourrions rencontrer des conditions environnementales propices au développement d'une vie rudimentaire. Bien sûr c'est un pari incertain, mais il est défendable sur le plan scientifique et mérite de faire l'objet d'une future mission spatiale vers la planète Rouge.

Friedmann considère que le permafrost martien constitue l'endroit idéal pour trouver une forme de vie sur Mars. Seul inconvénient, pour que la vie ait survécu, même dans un état d'animation suspendue, les organismes ont dû survivre beaucoup plus longtemps sur Mars que sur Terre. Et cela ajoute une contrainte très négative à notre équation.

En Sibérie par exemple, le permafrost existe depuis trois millions d'années environ. Sur Mars, la vie, si jamais elle exista, s'est figée il y a plus de trois milliards d'années. On parle ici de milliards d'années ! Cela fait une énorme différence entre les conditions terrestres et les conditions martiennes. Cela dit, il n'est pas impossible de trouver une forme de vie bactérienne, peut-être pas en surface, mais plutôt dans les profondeurs de Mars.

Projets à venir

A l'heure actuelle Gene McDonald s'intéresse au permafrost d'Alaska et espère explorer plus profondément le permafrost de Sibérie. Avec son équipe, il développe également divers instruments qui permettront de mesurer les rapports des acides aminés D/L sur Mars, à partir d'un lander ou d'une rover.

Document NASA/JPL, http://mars.jpl.nasa.gov/

Nous comptions également beaucoup sur la mission Mars lander mais elle fut perdue en 1999. Elle était équipée de moyens de forage et devait remonter des échantillons de permafrost - à la condition que le lander atterrisse en un lieu contenant du permafrost, ce qui n'était pas certain.

Reste actuellement la nouvelle mission américaine vers Mars organisée en coopération avec l'Europe planifiée vers 2014 avec le retour éventuel d'échantillons en 2016, en attendant de poser des hommes sur la planète Rouge. 

C'est une grosse mission et onéreuse de surcroît car le retour d'un vaisseau implique une logistique grosso modo deux fois plus importante qu'un "simple" amarsissage avec des risques beaucoup plus élevés que doivent anticiper les ingénieurs.

Sur le plan théorique, aux températures du permafrost il reste beaucoup de choses à comprendre comme le fait de savoir comment les organismes maintiennent un taux constant de rapport d'acides aminés, comment fonctionnent les enzymes qui attirent l'oxygène et ceux qui ne s'en servent pas pour assurer les réparations cellulaires, etc. Actuellement, on ignore précisément quels sont les enzymes concernés par ce processus. Il peut s'agir du même enzyme que celui qui est utilisé à plus haute température, comme il peut s'agir d'un enzyme différent, qui a évolué au cours du temps pour s'adapter à son environnement. Il y a là tout une Terra Incognita très intéressante à explorer. En corollaire, si nous comprenons les mécanismes qui permettent à ces organismes de survivre au gel, les scientifiques pourront mieux préserver les transplants humains. Pour les exobiologistes, cela étend la zone habitable vers les contrées glacées. 

Pour plus d'information

Pour tout savoir sur le pergélisol et le gélisol, NRCan

Permafrost and Frozen Ground, NSIDC

Permafrost and boreal environment, U.Colorado

Bdelloid rotifer cysts, Microscopy UK

NASA/JPL (missions à venir)



24/11/2007
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