Bioastronomie - La faculté d'adaptation - Rouge sang dites-vous ? (V)

 

http://www.astrosurf.com/luxorion/bioastro-adaptation5.htm

 

La faculté d'adaptation

Rouge sang dites-vous ? (V)

Chez les mammifères, respiration et sang sont liés. Sans ce vecteur si particulier, les milliards de cellules que nous possédons mourraient, intoxiquées par les substances nocives, empêtrées dans leurs déchets et asphyxiées par manque d’oxygène.

Au cours de l’évolution, le sang apparaît pour la première fois chez les annélides. Il constitue un liquide vecteur de l’oxygène, des éléments nutritifs et des déchets de toutes les cellules. Mais il se différencie peu de l’eau de mer bien qu’il participe à la régulation homéostatique, c’est-à-dire que sa composition et sa salinité sont déjà contrôlés.

Chez les insectes, à notre grand étonnement le sang n’a pas de fonction respiratoire qui est assignée à d'autres organes. Leur sang permet le déploiement des ailes après la métamorphose de la nymphe par exemple, l’enroulement de la trompe du papillon et participe à certains mouvements du corps ou ne transporte que les nutriments.

Chez les invertébrés le transport de l'oxygène peut être assuré par d'autres substances que les globules rouges et l'oxygène est souvent dissout dans le liquide plutôt que transporté par des globules.

A gauche des hématies ou globules rouges du sang humain. Chez les mammifères le sang véhicule l'oxygène et les nutriments ce qui n'est pas le cas chez tous les organismes, en particulier chez les insectes. A droite Tom Mikkelsen tenant une femelle de Limule polyphemus venant de donner 20% de son sang bleu. Ce sang contient des substances anticoagulantes qui servent d'indicateur en médecine. Vous trouverez des limules en train de frayer au mois de mai sur la côte Est des Etats-Unis, près de Boston. Documents CNRI et Biogenic.

Le sang des vertébrés cumule toutes ces activités. Il participe également au contrôle de l’organisme en réparant les coupures, en cicatrisant les plaies et en assurant la défense immunitaire.

Il faut également savoir que la couleur rouge qui le caractérise n'a rien d'universel. Ce pigment est lié à l'hémoglobine des hématies qui renferme du fer. Les globules rouges ont un diamètre qui oscille entre 7 ou 8 microns chez l'homme et presque 0.1 mm chez le fameux protée (batracien). Le sang de la limule est bleuté comme celui du calmar en raison de la présence d'hémocyanine qui contient un dérivé du cuivre; chez certains annélides polychaetes (Eudistylia vancouveri) et beaucoup d'insectes comme le phasme le sang est vert car il est coloré par la chlorocruorine et ne véhicule que les nutriments; il est rose chez d'autres et jaune chez le papillon Lymantna mâle; enfin le sang du poisson des glaces (Champsocephalus gunnari) des régions Antarctiques est blanc et contient des protéines antigel (glycoprotéine) qui inhibent la formation des cristaux de glace.

Dessin de Oliver Pere, Italie, Head of FAO Species Identification and Data Programme

L'annélidé Eudistylia vancouveri dont la couleur du sang est rouge, rose ou verte et le poisson des glaces dont le sang est blanc. Documents UW Depts et DAFF.

Les écarts de température

Astronomiquement parlant, la limite supérieure de la vie est très basse sur Terre. Les aquariophiles savent que les poissons tropicaux agonisent et s'asphyxient dans une eau portée au-delà de 38°C. Les oiseaux du désert ne peuvent supporter plus de 45°C environ. Le serpent succombe à plus de 50°C et seules des algues bleues peuvent vivre dans les geysers brûlants du parc de Yellowstone aux Etats-Unis. Deux autres algues thermophiles, synechococcus et chloroflexus survivent dans la source thermale du lac Grand Prismatic Spring, colorant ses berges de vert et d'orange.

Familles de bactéries

Température

Hyperthermophiles  :

Thermophiles :

Mésophiles :

Psychrophiles :

80-121°C

40-80°C

20-40°C

< 20°C

Sachant ce qui vient d'être dit à propos des bactéries et autres parasites, vous ne serez donc pas étonné d'apprendre qu'il existe un meilleur anti-herbe que les produits chimiques : l'eau bouillante. En effet, la plupart des organismes n'étant pas thermophiles, il suffit de verser 1 litre d'eau bouillante au mètre carré et vous serez débarrassé des mauvaises herbes de manière tout à fait naturelle et non polluante.

Jusqu'à présent aucune créature - ni archéobactérie ni eubactérie- ne survivait au-delà de 80°C à la pression de 1 bar. A ce jour l'achéobactérie hyperthermophile la plus résistante succombait à 113°C, c'est Pyrolobus fumarii

Les microbiologistes Derek Lovley et Kazem Kashefi de l'Université de Massachusetts à Amherst ont récemment découvert une archéobactérie baptisée "Strain 121" qui survivait et se reproduisait près des évents hydrothermaux portés à 121°C sus une pression de 240 bars.

Cet organisme d'environ 2 microns de diamètre, cent fois plus petit qu'un grain de sable, est capable de supporter le processus de stérilisation d'un autoclave (20 minutes à 121°C) ! Heureusement comme toutes les archéobactéries elle est inoffensive. Elle survit en oxydant les composés du fer et rejette de la magnétite en absence totale de lumière.

Entre 140 et 350°C sous une pression de plusieurs centaines d’atmosphère, certains micro-organismes hyperthermophiles s’épanouissent et se reproduisent. Pyrococcus par exemple resserre son ADN pour éviter de succomber et produit de l’acide sulfurique. Cela dit toutes les formes de vie plus évoluées ont déjà disparu.

Strain 121 vit, respire et se reproduit près des évents hydrothermaux de l'océan Pacifique portés à 121°C. Il oxyde les composés du fer. Document Derek Lovley.

Cet éventail d'adaptations rassure les exobiologistes. Puisque certaines formes de vie peuvent évoluer dans de telles conditions extrêmes, rien ne dit qu’une forme de vie similaire n’a pas existé sur Mars dans un lointain passé, le long des canaux fluviaux qui ont laissé des traces d’alluvions[8] ou sur les pentes des volcans aujourd’hui éteints.

Les notions de froid diffèrent d’un être vivant à l’autre. Nous savons tous que la plupart des plantes y compris celles qui survivent dans les toundras gèlent lorsque les sucs et la sève passent sous 0°C. Les végétaux doivent absolument connaître une période d’été de quelques mois pour survivre. Mais l’ensoleillement ne suffit pas et bien des végétaux meurent lorsqu’ils sont exposés au vent glacial, à l’enneigement ou à une trop forte luminosité solaire. 

L'Antarctique peut-être comparé à Mars[9]. Si les sondes spatiales Viking n'ont rien relevé de significatif, à quelques millimètres sous le grès poreux du 6eme continent, lichens, champignons et bactéries se développent par -50°C. Pour supporter les rigueurs de l'Antarctique, la podure (puce) et l'algue rose des neiges disposent d’une sorte d’antigel, tout comme les fourmis, les tiques ou les araignées de nos contrées qui peuvent ainsi chercher leur nourriture sans geler. Des zoologistes soviétiques ont également découvert des salamandres en Sibérie qui hibernaient sur la terre, survivant par une température de -35°C.

A lire : Vivre dans la glace

Richard Hoover du centre Marshall de la NASA nous présente des mousses dormantes. Ces mousses ont été découvertes par David Gilichinsky et Elena Vorobyova de l'Institut soviétique de Géologie et de Photosynthèse dans le permafrost des plaines de Kolyma situées dans le nord-est de la Sibérie. Ces organismes distincts des plantes attendaient leur réveil depuis 40000 ans ! Cette espèce est très intéressante pour étudier les mécanismes cryoprotecteurs.

A l’inverse, certains animaux à sang froid se laissent geler pendant l’hiver. La chenille du Bombyx du Groenland par exemple peut rester gelée plus de 10 mois par -50°C, les balanes et les moules des zones intertidales des côtes de Norvège gèlent lorsqu’elles sont exposées au vent glacé à marée basse. Mais il est stupéfiant de constater que certains amphibiens et reptiles qui hibernent se laissent carrément geler : ils ne respirent plus, leur coeur s’arrête de battre et leur sang ne circule plus. Seule une faible activité neurologique témoigne de leur survie. C’est ainsi que plusieurs variétés de reptiles, de tortues, de grenouilles et le serpent jarretière survivent à la congélation ! 

Nous savons portant que l’eau glacée détruit les constituants cellulaires. Par osmose la congélation vide les cellules de leur eau jusqu’à ce que le volume intérieur franchisse un seuil critique en-dessous duquel les parois cellulaires se brisent et libèrent leur contenu. Lorsque la respiration et la circulation sanguine s’arrêtent, le métabolisme cellulaire devrait être détérioré, le fonctionnement des organes devrait être altéré et les tissus du cerveau devraient se nécroser au bout de 3 minutes. Pourtant ces animaux survivent aux rigueurs de l’hiver. Comment font-ils ?

La cryogénie

Alors que jusqu'ici au cours du processus de cryogénie la déshydratation des cellules était obtenue pendant un prérefroidissement progressif (0.5-1°C/min) jusqu'à -40°C, le procédé cryogénique mis au point par Jean Dereuddre de l'université de Jussieu en France exploite des techniques de vitrification et d'enrobage-déshydratation au cours desquelles l'extraction de l'eau cellulaire est réalisée à température ambiante. Les échantillons enrobés dans un gel d'alginate de calcium sont cultivés plusieurs jours dans un milieu fortement enrichi en saccharose, puis déshydratés sur gel de silice, jusqu'à une teneur en eau résiduelle compatible avec la vitrification des solutions extra- et intracellulaires. Les échantillons enrobés peuvent alors être directement plongés dans l'azote liquide. Document U.Jussieu/Y.Bachiri et al.

Depuis les années 1980, les zoologistes ont découvert que les cellules de ces animaux disposent, ainsi que nous l’avons entrevu, de protéines antigel qui maintiennent les fluides corporels liquides sous zéro degré. Ces liquides sont en surfusion, un état physique très particulier qui leur permet de rester fluide jusqu’à -16°C dans le cas du plasma humain, qui autrement gèle à 0.8°C. En étudiant les poissons polaires qui survivent dans l’eau glacée, l’équipe d’Arthur Devries de l’université d’Urbana-Champaign a découvert que les solutions aqueuses du corps de ces poissons contenaient des protéines antigel qui se liaient aux cristaux de glace dès que les germes de cristallisation étaient amorcés, ce qui empêchait l’eau glacée de s’accumuler sur les molécules, bloquant ainsi la croissance cristalline. D’ordinaire, plongé dans l’eau salée le poisson carrette ne survit pas en-dessous de -1.7°C. Mais en hiver, alors que les jours raccourcissent, ce poisson développe une protéine antigel qui maintient son sang liquide en-dessous de cette température.

Pour l’anecdote, ceci confirme l’observation de mon père qui me disait qu’il lui était arrivé, étant enfant, de laisser des carpillons dans une bassine d’eau à l’extérieur pendant l’hiver. La glace a progressivement pris et les poissons ont été congelés plusieurs jours. Ils auraient retrouvé toute leur vitalité avec le dégel. 

Les maîtres de la congélation

Deux amateurs de sucre et de grands froids : la rainette cruciforme du nord et le Cynips quercusfolii, ici en train d'éclore. Documents Nova Scotia Museum et IRSNB.

Mieux encore, la chenille de la tordeuse de la verge d’or qui s’enroule autour des feuilles de chênes et des vignes utilise un antigel encore plus performant. Stockant du sucre (glycogène) pendant l’automne, elle se confectionne un antigel pour l’hiver à base de 40% de glycérol qui lui permet d’abaisser son point de congélation jusqu’à -38°C. Chez les reptiles, les rainettes et les grenouilles des bois se préparent pour l’hiver en accumulant du glycérol dans des proportions 45 à 90 fois supérieure à celle de l’homme. On retrouve du sucre dans tous leurs organes, jusqu’à 45 gr/litre, ce qui leur permet de supporter une température de -8°C. Pour contrecarrer l’absence d’oxygène dans les cellules, ces animaux utilisent le glucose pour produire de l’énergie sous forme d’ATP. Ce processus peut durer une semaine chez la larve du Cynips qui vit sur les feuilles du chêne et jusqu’à trois jours chez la grenouille, le temps que la température remonte.

Ces découvertes sont riches d’enseignements. Des ingénieurs essayent aujourd’hui d’isoler ces protéines antigel et de les utiliser, par exemple pour conserver les greffons et éviter que le sang humain ne coagule lors des grèves d’organes. Un jour nous devrons remercier dame Nature pour tous ses bienfaits.

A une autre échelle, aux très basses températures, l'énergie indispensable aux fonctions métaboliques est insuffisante et la plupart des animaux trépassent. Seules quelques bactéries et des spores de mousse, de varechs et d'algues ne meurent pas lorsqu'on les place dans l'air liquide par -181°C. Certaines mousses, certains varechs et quelques algues peuvent même continuer à vivre pendant plusieurs semaines dans l'air liquide à -190°C.

Les très basses températures, quand elles ne détruisent pas la vie peuvent la rendre latente. C'est ainsi que des rotifères, les aiguillules (vers ciliés) et les fameux tardigrades qui vivent dans les mousses et la vase subissent sans dommages des températures extrêmement basses : préalablement desséchés puis placés dans l'air liquide à -190°C pendant 25 h, dans de l'hydrogène liquide par -254°C pendant 26 h, dans l'hélium liquide à -272°C pendant 3 h, ces animalcules graduellement réchauffés puis humectés ont retrouvé leur activité ! A ces très basses températures pourtant, les propriétés de la matière changent et les manifestations de la vie sont totalement interrompues : la matière vibre en cohérence, les électrons s'ils n'ont pas arrêté leur course, l'on ralentie et le protoplasme qui baigne les constituants des cellules devient aussi dur que l'acier. Le tardigrade tout spécialement, un petit animalcule d’environ 1 mm, peut supporter une dessiccation complète, un échauffement de 115°C et subir un refroidissement à -200°C ! A cette très basse température sa vie est interrompue, son métabolisme est arrêté, mais il n’est pourtant pas mort. Le fait de l'humecter ensuite lui rend toute sa vigueur. Enfin, des coeurs d'embryons de poulet soumis à -196°C ont été ressuscités. 

Le tardigrade photographié au microscope électronique à balayage. Celui-ci mesure environ 0.8x0.3 mm. Documents Zoolab, LDEO et NEMA.

Ces particularités ne devraient pas nous étonner car n’oublions pas que régulièrement des gamètes humaines congelées puis “revitalisées” rendent espoir aux couples stériles. Pourtant ces ovules et ces spermatozoïdes restent parfois inertes plusieurs années.

Lorsque le métabolisme des mammifères ne permet pas de survivre aux rigueurs hivernales, l’hibernation reste la seule chance de survie. En dormant et en abaissant leur température corporelle, les petits mammifères peuvent économiser jusqu’à 88% de leur ressources d’énergie et réduire leur métabolisme de 90 à 99% en prévision du dégel. Certains, tel l’écureuil terrestre d’Alaska laisse même certaines parties de son corps descendre sous 0°C mais il préserve ses organes vitaux. A l'inverse le renard polaire supporte les grands froids grâce à son épaisse fourrure qui le protège jusqu'à... -70°C où goupil commence seulement à ressentir les effets du froid !

Au sommet de la pyramide, l'homme est très sensible au froid. Avec une température corporelle de 37.2°C, l'homme tombe est état d'hypothermie à partir de 35°C et devient inconscient à 33°C. Un skieur qui tombe dans une crevasse ou un pêcheur qui tombe dans l'eau glacée survivra jusqu'à ce que la température de son coeur franchisse le seuil de 30°C. S'il panique ou ne contrôle pas sa respiration il peut mourir en quelques minutes par hydrocution ou sous l'effet du stress. Dans l'eau à 0°C un homme normalement vêtu ne tient pas plus d'une demi-heure. Son corps en état d'hypothermie devra impérativement être réchauffé avant d'envisager de le "ressusciter" par des électrochocs. 

Mais l'homme peut s'adapter au froid. Si vous passez des vacances dans les régions polaires et que votre corps est au contact du froid, pendant 2-3 jours votre température corporelle va augmenter en moyenne de 1°C et tout votre corps va frissonner afin que l'énergie libérée par vos muscles vous réchauffe. Si les tremblements sont importants et continus, vous éprouverez des douleurs musculaires et la situation ne pourra pas se prolonger sans risque. Dans une situation normale, cette période d'adaptation dure 3 semaines au bout de laquelle vous pourrez vivre par -10°C sans protection particulière (en vêtement de travail) et votre corps ne frissonnera plus. Vous supporterez facilement une température de 15°C dans une pièce de séjour alors que quelques mois plus tôt vous aviez peut-être froid lorsque sa température passait sous 20°C. C'est l'une des raisons pour lesquelles beaucoup de jeunes campagnards supportent bien mieux les rigueurs hivernales que leur collègues vivant en ville à l'abri des vicissitudes du climat 

Mais que la température vienne à descendre sous -10°C, que vous y soyez préparé ou non, des vêtements en matière synthétique et des anoraks en duvets naturels seront indispensables pour annuler l'effet du froid.

Ces quelques exemples démontrent que seuls les micro-organismes qui ont une structure élémentaire peuvent s'adapter à des conditions extrêmement préjudiciables à toute autre forme de vie plus évoluée.

Prochain chapitre

Aux extrêmes : les acides et les radiations

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 -


[8] M.Walter et D.Des Marais, Icarus, 101, 1993, p129.

[9] Des micro-organismes vivent sous le désert glacé du bouclier Antarctique. Lire à ce sujet E.Friedmann, Science, 215, 1982, p1045. On peut imaginer qu'il existe une vie semblable sous la surface de Mars.


Back to:



24/11/2007
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 525 autres membres