Bioastronomie - Propriétés des molécules prébiotiques

 

 

Propriétés des molécules prébiotiques

Entre aromates et poisons

Les milieux interplanétaire et interstellaire, les comètes et les nébuleuses en particulier contiennent des molécules organiques plus ou moins complexes parmi lesquelles nous trouvons l'acide cyanhydrique (HCN), le formaldéhyde (H2CO), le cyanure de méthyle (CH3CN), des PAH, de l'ammoniac (NH3) ainsi que du cyanogène (C2N2) et du monoxyde de carbone (CO).

A priori ces substances ont mauvaise réputation du fait de leur toxicité ou du risque d'incendie plus ou moins élevé qu'elles représentent. Mais tout dépend de leur concentration. 

Molécule d'éthane.

En effet, une allumette peut-être inoffensive comme elle peut incendier un building. Même le sel de cuisine est toxique pour l'homme puisqu'à forte dose il provoque une déshydratation pouvant entraîner la mort. Voyez par exemple ce qui se produit en versant du sel sur des sangsues ou plus gentiment sur des rondelles de concombre. De la même manière, si vous en êtes capable, le fait de boire de l'eau de mer ne va pas étancher votre soif, que du contraire. Il faut donc relativiser les effets de ces substances.

Arrêtons-nous un instant sur ces molécules dont on parle souvent en bioastronomie et en radioastronmie mais que le public connaît finalement assez mal. Reconnaissons pour le profane en la matière que ces molécules nous disent peu de choses. Toutefois les astronomes, les droguistes et les laborantins les connaissent bien.

L'acide cyanhydrique (HCN)

L'HCN ou cyanure d'hydrogène est un composé chimique du groupe des nitriles (CN) - ce n'est donc pas un hydrocarbure - qui se forme dans toute "soupe prébiotique". On le trouve aisément en solution aqueuse où il prend alors le nom d'acide cyanhydrique ou acide hydrocyanique. Anciennement on l'appelait l'acide prussique.

L'HCN pur, également appelé méthanenitrile, est incolore. C'est un liquide très volatil qui se sublime (fusion) à -13.2°C et bout à 25.7°C en libérant des gaz d'HCN (comme l'eau bout en libérant de la vapeur d'eau). L'acide cyanhydrique présente un léger goût d'amande amer et faiblement acide.

L'HCN se transforme partiellement en ion cyanide CN en solution aqueuse, devenant un liquide volatil incolore attaché d'une odeur caractéristique. Les sels d'acide cyanhydrique sont appelés des cyanides. Utilisé dans l'industrie chimique, l'HCN permet de traiter l'acier trempé, de teindre, il sert d'adjuvant aux explosifs, dans la gravure, la production de résine plastiques acryliques et d'autres produits chimiques.

L'HCN fut également utilisé pour fabriquer des gaz hémotoxiques (zyklon B) qui détruisent les globules rouges. Il fut notamment utilisé par les Nazis dans les chambre à gaz.

Pour en revenir à la biochimie, notons qu'en absence de stabilisants, l’HCN polymérise en donnant des composés cycliques complexes de couleur orange-brun. Cette couleur est due à la délocalisation des doubles liaisons. Selon certains exobiologistes, c'est la présence d'HCN qui expliquerait notamment la couleur de la Grande Tache Rouge de Jupiter ou de certaines bandes colorées de son atmosphère. L'HCN est également présent dans les nurseries d'étoiles enveloppées de gaz et de poussières aionsi que dans les disques protostellaires.

Le formaldéhyde (H2CO)

On l'appelle également méthanal ou aldéhyde méthanoïque car il s'agit d'une forme oxydée de méthane. Il existe en grande quantité sous forme de nuages moléculaires, par exemple dans la Grande nébuleuse d'Orion, M42. A pression ambiante, ce gaz présente une température de fusion de -92°C et un point d'ébullition de -20°C et s'enflamme spontanément à 430°C.

Comme tous les hydrocarbures (molécules hydrocarbonées), c'est une substance extrêmement inflammable qui ne supporte pas la présence de flamme nues ou d'étincelles. Cette substance est soluble dans l'eau. La seule façon d'éteindre son embrasement consiste à utiliser un extincteur à poudre ou du dioxyde de carbone.  

Le formaldéhyde est également explosif lorsqu'il est mélangé à l'air, raison pour laquelle il est maintenu dans des bonbonnes et de préférence à basse température et arrosée d'eau pour piéger les gaz éventuels.

Le formaldéhyde est légèrement toxique. Son inhalation provoque une sensation de brûlure dans la gorge et les poumons, une toux, des maux de tête, des nausées, de l'essoufflement et peut provoquer un oedème pulmonaire. Une thérapie inhalatoire appropriée supprime toutefois ces symptômes.

Le formaldéhyde (H2CO) et l'acide formique (H2CO2) par exemple semblent assez proches sur le plan de la formule chimique mais un atome suffit à changer drastiquement leurs propriétés chimiques et physiques.

En fait il ne faut pas confondre aldéhyde et acide. Si on oxyde du méthane par exemple, on passe graduellement de l'alcool à l'acide. Les réactions sont les suivantes :

CH4 + 1/2 O2

CH3OH + 1/2 O2

H2CO + 1/2 O2

à   CH3OH alcool méthylique (méthanoïque) ou méthanol

à   H2CO + H2O, formaldéhyde ou aldéhyde méthanoïque (méthanal)

à   H2CO2 acide formique ou méthanoïque (formol)

On est passé de l'hydrocarbure à l'aldéhyde puis à l'acide en passant par des états de plus en plus oxydés.

Le cyanure de méthyle (CH3CN) 

Egalement appelé acétonitrile, il s'agit d'un nitrile aliphatique ou non aromatique, c'est-à-dire qu'il est exempt des doubles liaisons conjuguées ou cycle de carbone (benzène). Il entre en fusion à -45.7°C et bout à 81.6 °C. Il est présent dans l'alcool méthylique (alcool de bois ou méthanol) de formule chimique CH3OH mais il est absent du méthanol industriel. C'est un liquide incolore qui peut servir de solvant. Il est peu toxique mais peut entraîner la mort si on le respire une fois hydrolysé (coupure d'une liaison covalente par action de l'eau) ou si on le consomme. En effet, contenant des sels de cyanures, une fois hydrolysé il peut y avoir plus d'ions CN sur la pointe d'une aiguille que d'hémoglobine dans notre corps !

Le cyanogène (C2N2)

Il s'agit d'un gaz inflammable que l'on avait déjà découvert sur la comète de Halley en 1910, ce qui créa un certain émoi dans la population, sachant que la Terre allait traverser la queue de la comète. Ce gaz synthétisé pour la première fois en 1782 est utilisé pour produire du chlorure de cyanogène (CNCl), un gaz urticant que connaissent bien nos forces de police.

Le cyanogène est incolore et dégage une odeur proche de l'amande. Il entre spontanément en combustion à 650°C. Il est soluble dans l'eau et réagit avec plusieurs acides et oxydants forts tels que l'ozone, le monoxyde de chlore, les chlorates, les nitrates, les nitrites ou le fluor et peut entraîner une explosion, d'où son utilisation possible comme propergol pour les fusées.

Le cyanogène est très toxique car le corps le métabolise sous forme de cyanure qui bloque l'action de l'hémoglobine. Il ne faut surtout pas respirer ses effluves qui peuvent entraîner une suffocation et la mort.

Les PAH

les PAH ou hydrocarbures aromatiques polycycliques sont mieux connus à travers les "Bucky balls" de carbone (C60) et les nanotubes de graphite (carbone pur). La molécule PAH la plus simple est le pentalène. Les PAH lourds sont très intéressants car ils offrent une grande résistance mécanique et peuvent être polymérisés sous forme de très longues chaînes.

Les PAH ayant au moins trois cycles ou anneaux de benzène (C6H6) sont peu solubles dans l'eau et présentent une faible pression de vapeur. A mesure que leur poids moléculaire augmente, leur solubilité et leur pression de vapeur diminuent. Les PAH constitués de deux cycles sont plus solubles dans l'eau et plus volatils. En raison de ces propriétés, on retrouve essentiellement des PAH dans la terre et les sédiments et très peu dans l'eau ou dans l'air. Toutefois, les PAH peuvent être présents sous forme de particules en suspension dans l'eau ou dans l'air. Les PAH de poids moléculaire élevé sont très cancérigènes mais leur toxicité diminue. L'un de ces PAH, le benzo[a]pyrène fut la première molécule cancérigène découverte.

L'ammoniac (NH3)

L'ammoniac existe simultanément sous les deux formes, non ionisée (NH3) et ionisée (NH4) dont l'équilibre dépend du pH du milieu et de la température. C'est un paramètre très important à surveiller dans les aquariums et de façon générale pour la survie des organismes aquatiques. 

Tout le monde connaît ce gaz qui existe également en solution aqueuse. Il est irritant, corrosif et présente une odeur piquante peu supportable. Ce gaz entre en fusion à -77.7°C et bout à -33.4°C.

L'ammoniac est utilisé pour la fabrication d'engrais azotés (urée et ammoniac anhydre), d'explosifs et de polymères (polyuréthane, etc). On le retrouve également dans la fumée de cigarette (10 à 500 mg).

Considéré comme un polluant, libéré sous forme de gaz il se lie rapidement au soufre pour former du sulfate d'ammonium. Les industries chimiques sont responsables de la libération de ces nuages polluants (32000 tonnes rien qu'au Canada par exemple) qui peuvent se propager sur des centaines de kilomètres.

Les conifères, les tourbières à sphaignes sont sensibles à la présence d'ammoniac qui les rend plus sensibles durant la période hivernale. L'ammoniac ne contribue pas à l'effet de serre contrairement au méthane par exemple ni à la destruction de la couche d'ozone stratosphérique.

L'ammoniac est également un composé naturel utilisé pour la synthèse des protéines mais aussi un déchet du métabolisme des organismes aérobies. Sa présence sur d'autres astres représente donc un indice en faveur de l'existence d'une forme de vie sans pour autant être la seule explication de sa présence comme nous venons de l'expliquer.

Le monoxyde de carbone (CO)

Citons enfin le monoxyde de carbone. C'est le fameux gaz à effet de serre qui provient de la combustion des énergies fossiles, principalement de la combustion incomplète du carbone et des composés carbonés dans les moteurs à explosion, mais également des systèmes de chauffage à combustion, de certains outillages avec combustion (décolleuse à papier-peint, ...), de la combustion du tabac, etc.

Su Terre, sa présence est liée à l'industrialisation et la croissance démographique. Il n'est donc pas surprenant de constater que sa concentration a augmenté depuis la seconde moitié du XXeme siècle. Son effet est toutefois secondaire car il en faut 20 fois plus que de méthane par exemple pour produire le même effet sur la température de l'air.

Le CO entre en fusion à -205°C et bout à -192°C. C'est un gaz très volatile et métastable en atmosphère normale, c'est-à-dire qu'il se trouve dans un état hors équilibre qui persiste très longtemps durant les changements de phases.

Le CO est très toxique pour l'organisme car il est transparent et ne dégage aucune odeur qui pourrait alerter la victime potentielle. Par ailleurs, chimiquement il présente une affinité 230 fois supérieure à celle de la molécule d'oxygène envers l'ion de fer de l'hémoglobine du sang. La carence en oxygène se fait donc rapidement sentir, d'autant plus rapidement que le CO bloque des enzymes de la chaîne respiratoire des mitochondries. C'est la raison pour laquelle les intoxications au CO (suite à l'utilisation d'un boiler défectueux par exemple) sont toujours fatales.

Le CO est également présent dans l'espace. Dans la comète de Hale-Bopp par exemple qui nous rendit visite en 1997, il présentait une abondance relative de 25% par rapport à l'eau, ce qui excessivement élevé. A titre de comparaison le dioxyde de carbone n'était présent qu'à raison de 6%.

La concentration de CO dépend de la taille du noyau de la comète. En effet, cette molécule se trouve souvent à l'état de trace dans les petites comètes (le noyau de Linear C/1999 S4 par exemple mesurait moins de 600 m et contenait très peu de CO). Cette faible concentration est également liée à la disparition progressive du CO à l'approche du Soleil car il se dissocie sous l'effet du rayonnement UV (entre 90 et 110 nm).

Le CO est également présent dans les nébuleuses. On estime que pour 10000 molécules d'hydrogène présentes dans une nébuleuse il y a 1 molécule de CO. Toutefois, ici également il subit une photodissociation plus ou moins importante sous l'effet du rayonnement ultraviolet stellaire, produisant des atomes d'oxygène libres qui peuvent participer à la formation des silicates.

Précisons que la dissociation du CO est proportionnelle à l'intensité du rayonnement. C'est ainsi qu'on trouve dans l'espace des isotopomères du CO (isotope de l'oxygène qui se désintègre en libérant un positon). Il s'agit des molécules C16O, C17O et C18O dont la concentration varie en fonction de la distance à l'étoile. Quand on en trouve dans un minéral extraterrestre, la concentration de ces isotopomères permet donc de déterminer à quelle distance de l'étoile hôte ces silicates ont été formés. En corollaire, cela permet d'affiner les modèles astrophysiques.

Enfin, le CO est un traceur qui intéresse beaucoup les radioastronomes. Dans la raie du CO (112 GHz par exemple) les nuages moléculaires présentent une densité mille fois supérieure au milieu interstellaire. La présence du monoxyde de carbone, même si elle est relativement faible permet non seulement d'évaluer les caractéristiques physiques des nébuleuses (densité, température, vitesse, distance) mais également de détecter la présence de l'hydrogène moléculaire qui ne présente pas de raie spectrale dans la partie visible ou proche infrarouge du spectre mais uniquement dans la partie radio. C'est ainsi que les radioastronomes utilisent le CO pour tracer l'hydrogène et que de nombreuses cartes radioastronomiques nous présentent non pas des cartes de l'hydrogène mais du CO qui lui sert de marqueur.

A propos de la toxine botulique

Bien que des micro-organismes n'aient pas encore été découverts dans l'espace, rappelons que toutes les substances décrites dans cet article présentent une toxicité ridicule comparée à une enzyme que l'on trouve sur Terre, la toxine botulique, le fameux Botox utilisé en médecine pour paralyser les muscles. A ce jour c'est le poison le plus puissant que l'on connaisse et il fait malheureusement partie des armes biologiques. Il ne faut donc pas aller dans l'espace pour trouver des substances toxiques !

La neuro-toxine botulique est émise par une bactérie dont la plus connue est la Clostridium botulinum. Il existe trois formes de botulisme qui sont toutes des maladies infectieuses mortelles si elles ne sont pas traitées de toute urgence. C'est une maladie qu'il faut obligatoirement déclarer aux autorités notamment en France et en Belgique, au même titre que la peste ou le choléra pour vous donner une idée de son degré de toxicité.

La neuro-toxine botulique présente une dose létale de 300 pg/kg alors que la dose mortelle est dix fois inférieure. Cela signifie concrètement qu'un peu plus de 100 grammes de toxine botulique suffiraient pour tuer tous les habitants de la Terre ! On estime que 1 mg de toxine botulique peuvent tuer 33 milliards de souris ! A titre de comparaison, il faut 10 fois plus de toxine tétanique et 40 millions de fois plus de cyanure pour atteindre une telle toxicité ! 

Le seul traitement contre le botulisme est la sérothérapie spécifique accompagnée de l'injection d'une antitoxine à condition de les pratiquer avant que la toxine ait eu le temps de se fixer de manière irréversible. Selon l'OMS, il existe un vaccin mais il n'a pas été totalement testé et produit des effets secondaires.

Ne nous alarmons pas !

Bien sûr nous pourrions également citer quantité d'autres hydrocarbures toxiques présents sur les comètes ou dans le milieu interstellaire. Mais rien sert de s'alarmer. Aux pressions partielles dans lesquelles ces molécules existent sur les comètes, ces gaz ne présentent aucun danger pour l'homme. Même si la Terre traversait la queue de la comète Tempel 1 ou de Halley qui contient toutes deux quelques unes de ces substances, l'ionisation des molécules et le bouclier que constitue le champ géomagnétique rendraient leur toxicité ou les risques d'incendie tout à fait inoffensifs, d'autant plus que ces éléments sont peu abondants dans l'absolu. Pour vous donner une idée, même 100 kg de cyanure déversés dans l'atmosphère terrestre ne pourraient pas tuer un moustique ! Continuez donc à contempler les comètes et les nébuleuses chatoyantes de couleurs sans vous inquiéter, elle sont inoffensives... Surveillez plutôt l'environnement terrestre où le risque est de loin plus élevé !

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24/11/2007
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