Arche interstellaire
Gilgamesh, 14 février 2007 in PhilosophieAutres langues :
Le thème du trajet vers les étoiles, de système planétaire à système planétaire, nous est à la fois tout à fait familier et totalement étranger. Familièrement, nous avons certainement tous en tête des histoires de science-fiction ayant pour cadre une galaxie (éventuellement lointaine, très lointaine…), dans laquelle les planètes jouent le rôle de nations ou de provinces d’empire. Les protagonistes se déplacent de l’une à l’autre dans des durées compatibles avec la tenue de la narration. Le trajet parait une formalité que les prochaines avancées d’une Physique Triomphante mettront à portée de main.
C’est ce que nous nommerons la stratégie “zéro” (S0) : on entend par là que le temps de trajet est “instantané”, à tout le moins inférieur à la durée d’une année terrestre, c’est à dire comparable aux trajets que nous effectuons à la surface de la Terre, aux trajets des missions lunaires et à ceux envisagés vers d’autres corps du système solaire, s’il s’agit de missions habitées.
Le trajet vers les étoiles nous devient par contre très étrange si nos envisageons qu’une telle avancée de la Physique pourrait bien ne pas avoir lieu, que la célèbre constante d’Einstein c, la vitesse de la lumière (3E8 m/s), représente un horizon de vitesse indépassable et même excessivement difficile à approcher, de sorte que l’espace deviendrait à nos yeux ce qu’il est déjà pour l’astronome : une immensité comparée à laquelle celle des océans terrestres n’est rien.
Ce n’est pas sans réticence que l’esprit s’approprie les dimensions réelles des espaces interstellaires. Et la déraison de ces distances n’est pas seule en cause. D’une certaine façon, on pourrait dire que la stratégie zéro s’enracine dans un désir enfantin d’espace. Non pas l’espace-distance, cet horrible espace nu, muet, impavide, mais l’espace-trésor et les mondes qui roulent au sein de son immensité. Tous ces mondes dont l’atteinte ne saurait souffrir aucun retard et à la découverte desquels s’active notre imaginaire.
Réalisme aidant et quittant avec un certain regret le vert paradis de stratégie zéro, nous pouvons toutefois envisager dans le cadre de la Relativité Restreinte une stratégie plus “adolescente” - si la première est enfantine - que nous nommerons stratégie courte ou SI, qui promet le trajet en une vie d’homme.
Stratégie courte : la fusée relativiste
Dans la SI, qui est spécifiquement relativiste, on tire parti du ralentissement du temps propre () du voyageur lorsque la vitesse approche c. Si t est le temps pour l’observateur au repos,
où représente le facteur de Lorentz,
Quand v/c approche 1, tend vers l’infini et tends vers 0. Autrement dit, en approchant le vitesse de la lumière, le temps du voyageur s’écoule de plus en plus lentement et une année-lumière peut être parcourue en moins d’une année de temps propre du voyageur. C’est le principe de la fusée relativiste. La seule limite au plan purement théorique dans ce cas est l’accélération qui doit rester dans des limites physiologiquement acceptables (soit 1 g, 9,81 m/s²).1
Le tableau ci-dessous donne quelques idées des temps et distances accessibles en fonction du ratio v/c atteint, avec une accélération de 1 g constante (condition extrêmement exigeante comme nous le verrons) :
al = années-lumière (1 al ~ 10 000 milliards de km)
1 g = accélération de 9,8 m/s par seconde, mesurée dans le référentiel du voyageur
et t en années, d en années lumière, v/c et sans dimension
Ainsi, en la modeste durée de 12 années de temps propre (et 113 243 années du temps de l’observateur au repos), ce qui est long mais supportable dans un vaisseau confortable, on pourrait parcourir la Galaxie entière, dont le diamètre est de 100 000 années-lumière. Mais ceci à condition d’approcher incroyablement près de la vitesse de la lumière. Il faut ensuite considérer que si l’on veut arriver à vitesse nulle à destination, il faut inverser le sens de la poussée à mi-trajet pour ralentir ; le trajet est sensiblement deux fois plus long, ce qui reste raisonnable. Finalement le temps de trajet (temps propre du voyageur) pour arriver à vitesse nulle sur un objectif situé à d années lumière, en accélérant et décélerant au taux constant de 1g dans son référentiel est :
= 1,94 arccosh(d/1,94 + 1) années
Pour d = 100 000 al (largeur de la Galaxie), = 22,4 ans. Ainsi, sous l’angle de la durée, la SI permet l’atteinte d’objectifs aussi lointains que l’on veut en des durées qui n’excèdent pas une vie humaine. C’est sur la base de ce critère encadrant la durée de voyage que nous définirons cette stratégie : durée d’un trajet terrestre (1 an) < < durée d'une vie humaine (moins de 100 ans).
Aspect énergétique
La difficulté à laquelle on est confronté pour la SI est énergétique. Tout se passe comme si on payait d’un côté (l’énergie) ce qu’on ne dépensait pas de l’autre (le temps). Considérons le cas le plus favorable. La propulsion est d’autant plus efficace qu’on éjecte derrière soi le projectile le plus léger possible à la vitesse la plus élevée possible. L’optimum absolu est donc atteint quand tout le carburant est converti en photons (masse nulle) bien collimatés derrière l’engin. La seule réaction permettant 100% de conversion du carburant en photons est la réaction matière-antimatière, photons qu’il faudrait ensuite concentrer en un faisceau de laser gamma (“graser”) dans l’idéal. Ni le carburant d’antimatière, ni sa combustion, ni la production d’un laser gamma ne sont actuellement à notre portée, mais ceci nous donne le maximum envisageable. Le ratio de la masse totale de carburant (matière + antimatière) M0 sur la masse de la structure M est dans ce cas :
avec a = 9,8 m.s-2 = 1,02 al.an-2
c = 3e8 m.s-1 = 1 al.an-1
en années
Pour atteindre l’autre bout de la Galaxie ( = 22,4 ans) il faudrait embarquer 10 millions de tonnes de carburant pour chaque kilogramme de structure. Il s’agit là d’un minimum théorique absolu, basé sur un rendement de propulsion de 1 (et il ne peut l’être, la réaction produisant de neutrinos qui emportent une partie de l’impulsion en toutes directions) et qui ne prend pas en compte le coût énergétique de production d’antimatière. L’antimatière doit en effet être produite dans des faisceaux de particules qu’il faut accélérer par des moyens classiques. Pour des raisons fondamentales (conservation du nombre baryonique) le taux théorique maximal de conversion est de 1/2. Et en pratique il est beaucoup plus bas, de l’ordre de 4E-8 (soit la production d’une antiproton pour 400 millions de collisions) dans les accélérateurs actuels. On peut raisonnablement espérer gagner 3 voir 4 ordres de grandeurs en termes de rendement mais on n’entrevoit rien de plus au-delà de cet horizon technologique.
La SI qui est réaliste sur le plan temporel cesse rapidement de l’être au plan énergétique. Bien entendu, lorsqu’on envisagera la stratégie alternative dite longue (SII), il faudra garder à l’esprit que SI-SII forment en fait un continuum, et que ce qui est recherché c’est le point optimum entre ces deux stratégies. Notamment, on a examiné ci-dessus un cas limite que personne n’envisage d’atteindre, celui nécessitant une accélération constante de 1g tout au long du trajet, condition extrêmement dispendieuse en terme de carburant.
Si l’on se place dans le cas plus général où on s’accorde un temps de vol libre (sans accélération), avant de décélérer, et sans se placer forcément dans le cas optimal d’une éjection de photons, le ratio des masses de départ M0 (structure + carburant) sur masse d’arrivée M (structure seule) se calcule comme :
avec c la vitesse de la lumière
v la vitesse de vol libre qui est aussi la vitesse maximale
ve la vitesse d’éjection du carburant (ve < c)
La traduction de cet optimum devrait se manifester concrètement sous la forme d'un minimum énergétique permettant d'atteindre une cible stellaire potentielle ; ce minimum se raisonne en fonction de l'état d'avancement technologique et politique de l'humanité et il y a bien entendu une interaction possible entre le but et les acteurs. On peut supposer raisonnable que l'intérêt que manifeste l'espèce humaine pour son environnement galactique se traduira par un passage à l'acte dès qu'elle pensera pouvoir franchir la barrière énergétique en un point quelconque, au premier "col" qu'elle trouvera à sa portée au sein de cette barrière. Et ce, même si le temps de trajet à accomplir est fixé très grand. Car, contrairement à la barrière énergétique, qui ne connait pas de maximum, la barrière temporelle forme une sorte de plateau, dépassé une durée canonique que l'on peut fixer égale au siècle. Si un homme est capable d'envisager sans regret vivre sa vie entière dans la structure qui le transporte vers les étoiles, y engendrer et y mourir, alors le temps ne forme plus un obstacle et il ne reste que la contrainte de l'énergie nécessaire à la construction, la propulsion et l'entretien de la structure. C'est sur ce plateau temporel, permettant d'abaisser la barrière énergétique sur la base d'un temps de trajet multiséculaire que s'édifie la stratégie longue.
La rareté des systèmes planétaires
Un autre aspect que l’énergie doit également être pris en compte, qui relève non pas du pur domaine de l’astronautique (fusée, moteur…) mais du champs de l’astrophysique et de l’exobiologie. Il concerne la planète-cible ou plutôt le système stellaire cible, tout entier, incluant les petits corps gris (astéroïdes, comètes).
On ne peut accélérer que de petites structures à des vitesses relativistes, vu les ratios M0/M que réclame l’atteinte de telles vitesses. Petites structures qui devraient néanmoins abriter le minimum d’humains permettant d’assurer une diversité génétique suffisante, soit au moins 1000 personnes.
Il est possible de diminuer les exigences de structure dans le cas relativiste en faisant hiberner une fraction appréciable des partants.
Mais c’est avec l’exigence forte que la planète soit imédiatemment habitable “tête nue”, c’est à dire sans terraformation.
Sur au moins quelques centaines de km² contigus, il faudrait s’assurer de disposer des conditions d’existence minimales suivantes :
- Gravité : 0,5 - 2 g
- Dose annuelle de rayonnement : < 100 milliSievert
- Pression atmosphérique : 0,5 et 5 atm
- Pression partielle d'O2 : 0,1 - 0,5 atm
- Température : -50 et +50°C
- Présence d’eau en surface ou sub-surface
- Absence de gaz toxiques
Pour atteindre les “standards” de la Terre, il faudrait ajouter :
- systèmes climatiques diversifiés basés sur le cycle de l’eau
- océans d’eau liquide
- spectre stellaire à ~6000K
- écosystème accueillant
Or par ailleurs, envisager un stratégie courte pour rejoindre un corps très éloigné implique d’atteindre une cible qu’on ne connait qu’à distance. Car s’il s’agit d’envoyer des sondes automatiques pour explorer préalablement le système, il faut qu’elles-même se déplacent à des vitesses relativistes tandis que les futurs voyageurs se trouvent au repos, attendant que l’information leur revienne par émission radio. Dès lors que la cible se situe au-delà de quelques siècles-lumière, le temps d’attente (un millénaire pour une cible situé à 500 al) excède ce qu’il est possible d’atteindre sans attendre, en stratégie longue en choisissant un système plus proche, même s’il est moins viable, nous verrons pourquoi.
Concernant la fréquence des planètes habitables “tête nue” dans les systèmes stellaires, les prochaines décenies devraient nous en dire beaucoup, et c’est avec beaucoup d’impatience que nous l’attendons. Mais il ne me semble pas présomptueux de prédire que cette fréquence sera faible si l’on considère les exigences énumérées ci-dessus. Par conséquent qu’il y ait fort peu de chances d’en trouver une à proximité, disons à moins de 20 années-lumière.
Le nombre N d’étoiles situées à une distance R du Soleil est :
N = bR3
avec :
b ~ 0,017 étoile.al-3 pour R<250 al
R en années-lumière
Le type spectral de l'étoile (c'est à dire sa température de surface) ne doit pas être trop éloigné de celui du Soleil (G2), ce qui restreint les cibles potentielles aux types F, G ou K, qui représentent environ 20% des étoiles environnantes. Ajoutons à cela que la moitié des étoiles appartiennent à un système multiple ce qui ne constitue pas a priori un cas favorable pour l'établissement d'orbites planétaires stables même si ce n'est pas forcément rédhibitoire.
Fixons à 10% les systèmes FGK tolérant la présence d'une planète tellurique en orbite stable et à bonne distance de l'étoile.
Nhab = 0,1 N
Cela nous donne une série de valeurs illustratives de N et de Nhab pour des distances au Soleil croissantes :
On voit par exemple que si moins de 1% des systèmes stellaires comprennent un corps planétaire de morphologie terrestre, il y a peu de chance d’en trouver un à moins de 40 al.
Et quoique l’astrophysique observationnelle fasse des progrès exponentiels, à quelle échéance peut-on s’attendre à ce que l’observation purement radioélectrique d’un système lointain, situé à des centaines, des milliers ou des dizaines de milliers d’années-lumière nous livre une information si totalement satisfaisante qu’elle autorise à prédire la possibilité de le coloniser “dès l’aterrissage” ? Notamment en ce qui concerne la nature de l’écosystème. Il y a sans doute peu à craindre du très gros (bêtes féroces…) ou du nano (virus, nécessitant un compatibilité des systèmes génétiques). Mais les mico-organismes de types bactériens ou fongiques ne nécessitent pour se développer que d’un substrat organique. En soi le risque reste raisonnable, mais il donne à voir sur le risque global encouru. Tout peut arriver, et tout sera envisagé par les partants de façon bien plus accrue que ne le peut cette réflexion. Une colonie réduite au minimum dans un vaisseau lui-même minimal est livrée pieds et poings liés au moindre imprévu, sans espoir d’aucun secours terrestre, même moral. Or peut-on imaginer plus fertile en imprévus que ce premier trajet hors du système solaire ? Que se passerait-il si les 20 ans prévus se traduisaient par 200 ans de vie confinée ?
De ces éléments, on peut conclure que l’humanité ne peut s’aventurer raisonnablement dans les espaces immenses qui l’entourent qu’en étant rigoureusement autonome et détachée de tout calendrier, sauf en ce qui concerne l’énergie.
La stratégie longue vise cette autonomie. L’énergie que représente la propulsion à ‘faible’ vitesse (0,015 c) et l’entretien d’une grande structure assimilable à un corps micro-planétaire autonome gigatonnique sur une durée proche du millénaire est comparable à celle nécessaire à la propulsion d’un corps dix mille fois moins massif en ordre de grandeur mais propulsé à une vitesse relativiste (0,9 c), ce qui suppose dans ce dernier cas une éjection de grande masse de carburant à une vitesse très proche de c (disons 0,99 c), ce qui nous situe aux frontières de l’horizon technologique. La stratégie longue constitue matériellement la plus “classique” des solutions. Donc a priori la moins exigeante au plan technologique. S0 se base sur des avancées théoriques, plus encore que technologiques, situées hors de l’horizon, si seulement ces solutions existent. Elle ne peut être ni évaluée, ni discutée. SI se base sur une physique relativiste bien établie, mais dont la mise en pratique réclame des sources d’énergie dont on ne dispose pas, si l’on vise un objectif très lointain en une vie d’homme. Technologiquement elle nécessite l’atteinte de vitesse d’éjection à la limite de l’horizon technologique. Elle implique de toute les façon une structure de petite taille ne permettant pas une autonomie de long terme. SII est à la fois sécurisante et située dans l’horizon du possible, même si cet horizon n’est pas de ce siècle.
Stratégie longue : l’Arche
La propulsion la plus efficace située à l’intérieur de notre horizon technologique est la fusion nucléaire. Le principe est de confiner des noyaux légers à très haute température pour les faire fusionner et produire un plasma très chaud ainsi que de l’énergie électrique permettant l’éjection du plasma dans une tuyère magnétique.
Les vitesses d’éjection que ce principe de propulsion permet d’envisager atteignent 20 000 km/s. Pour être utilisable comme source d’énergie, une réaction de fusion doit satisfaire plusieurs critères. Elle doit :
- être exothermique ce qui limite les réactifs à la partie de la courbe des énergies de liaison correspondant aux noyaux légers, comportant peu de protons et fait de l’hélium-4 (plus rarement le deutérium et le tritium) le produit de réaction phare en raison de son énergie de liaison extrêmement forte,
- impliquer des noyaux comportant peu de protons du fait de la nécessité de vaincre la répulsion coulombienne afin que les noyaux puissent se rapprocher suffisamment pour fusionner,
- avoir au plus deux réactifs : à toutes les densités inférieures à celles des étoiles, la réalisation de trois collisions simultanées est par trop improbable. Il est à noter qu’en confinement inertiel, on dépasse à la fois les densités et les températures stellaires, ce qui permet de compenser la faiblesse du troisième paramètre du critère de Lawson, la très brève durée de confinement,
- avoir au moins deux produits de réactions ce qui permet la conservation simultanée de l’énergie et de l’impulsion.
- conserver à la fois les protons et les neutrons. Les sections efficaces pour l’interaction faible étant trop petites, la réaction p + p -> D, celle qui pourtant a lieu au sein de Soleil et nous dispense son flot d’énergie, est inutilisable. La demi-vie du proton (le temps que met en moyenne un proton à réagir avec un semblable pour former du deutérium, amorçant les chaines de réactions qui méneront à l’hélium-4) dans les conditions de température et de densités pourtant extrêmes du coeur de l’étoile (densité 150 g/cm3, température 13 millions de K) est de 10 milliards d’années. Ceci car la réaction nécessite une décroissance bêta, c’est à dire la conversion spontanée d’un des deux protons réactionnels en neutron (phénomène purement “faible”), et ce, au moment même de l’interaction p-p, pour se produire.
Les noyaux (ou isotopes) disponibles pour les réactions utiles sont :
(01) 1H ou p, l’hydrogène léger ou proton, le plus courant,
(02) 2H ou D, l’hydrogène lourd ou deutérium, présent en petite quantité (0,0015% dans l’eau terrestre soit 15 ppm), et à des taux peut être 10 fois plus élevés dans certains petits corps du système solaire, sous forme d’eau lourde HDO essentiellement),
(03) 3H ou T, le tritium, instable de période 12,3 ans, donc absent dans les matériaux naturels,
(04) 3He, He3, l’hélium-3 présent à l’état de trace dans le sol lunaire et dans l’atmosphère des planètes géantes,
(05) 6Li, Li6, le lithium-6,
(06) 7Li, Li7, le lithium-7,
(07) 11B, B11, le bore-11,
ces trois derniers éléments étant présent à l’état de trace (6-7 ppm estimé) dans les petits corps du systèmes solaires.
Les réactions de fusion intéressant ces isotopes sont :
n représente le neutron (en gras quand il peut surgénérer du deutérium).
1 MeV : 1 million d’électron-volt (eV). 1 eV = 1,602E-19 Joules
On y distingue deux genres de réactions :
- celles qui produisent des neutrons et du rayonnement gamma : (02), (04), (06), (07), (09). La réaction (12) produit un neutron mais doit être mise à part car endothermique. Toutefois le couplage des deux voies du Li-7 (11) + (12) reste exothermique (bilan : +2,2 MeV) et au total cette voie réactionnelle pourrait rester intéressante.
- celles qui ne produisent que des noyaux chargés : protons, deutons, particules alpha (4He) : (01), (03), (05), (08), (09), (10) (11), (13), (14), (15)
Les réactions du premier genre peuvent sembler désavantageuses en première approche car neutrons et photons gamma sont insensibles aux champs électromagnétiques et ne peuvent donc être éjectés par une tuyère : leur contribution à la propulsion est nulle alors qu’ils emportent la majeure partie de l’impulsion. En outre ils sont très agressifs et “activent” les structures métalliques. Par contre les noyaux réactifs sont relativement abondants : ces réactions impliquent le deutérium en (3). Les réactions du second genre sont idéales sur le plan propulsif mais le tritium n’existe pas à l’état naturel et hélium-3, lithium-6-7 et bore-11 sont beaucoup plus rares que le deutérium dans les petits corps du système solaire. Or les masses de carburants exigées sont considérables, près de 21 Gt (gigatonne, 1 Gt = 1 milliard de tonnes) dans l’hypothèse envisagée ci-après.
Une possibilité offerte est d’utiliser le neutron produit pour surgénérer du deutérium dans une couche fertile d’hydrogène 1H.
La réaction D-D possède deux voies équiprobables, (2) et (3). Dans la première, pn+pn produit pnn+p (un noyau de tritium et un proton), dans la seconde ppn + n (un noyau d’hélium-3 et un neutron). Le tritium produit est ensuite susceptible de réagir en (5) pnn+pnn -> ppnn + 2n (un noyau d’hélium-4 et 2 neutrons). Les deux neutrons produits par ce second étage de réaction peuvent à leur tour surgénérer du deutérium en réagissant avec la couche fertile d’hydrogène léger.
La grande difficulté technique consiste – entre autre - à ne pas “gaspiller” d’impulsion en passant du premier étage réactionnel (D-D) au second (T-T, voir He3-He3). La vitesse d’éjection constitue le paramètre clé de l’efficacité du moteur et elle est permise essentiellement par la température élevée des produits de réaction. Un proton à 20 000 km/s possède une énergie cinétique de 4 MeV environ, ce qui représente bien l’ordre de grandeur des réactions détaillées ci-dessus. La seconde réaction de fusion doit donc se produire au sein même du jet de plasma. Quelle qu’en soit la difficulté, une surgénération complète (au taux de 1:1), voire très légèrement excédentaire, représente un facteur absolument crucial pour juger de la faisabilité de l’entreprise. Les isotopes fusibles ne sont présents qu’à l’état de traces dans les petits corps. Une surgénération complète ne nécessite d’embarquer que de petites quantités initiales dès lors que chaque gramme qui fusionne surgénère un gramme dans la couche fertile. Si la surgénération n’est que partielle, il faut avant le départ distiller d’énormes masses d’hydrogène afin d’embarquer un carburant déjà fortement enrichi en deutérium ou autres noyaux fusibles. Les masses mobilisables pour fournir le carburant varient de 1 à 5000 entre les deux.
Un autre concept pouvant être intéressant considérant la surface considérable de moteur à manufacturer est celui de fusée de glace (ice rocket) :2 l’hydrogène et le deuterium congelés servent à la fois de réacteur, de tuyère de combustible et d’écran contre les produits de réaction.
Choix de la cible : des petits corps avant toutes choses
Paradoxalement, le fait de voyager dans un vaisseau-monde permet d’être beaucoup moins sélectif sur le choix de la cible stellaire et d’avoir plus de chance d’en trouver une à courte distance, à l’échelle astronomique. Il n’est pas en effet nécessaire de disposer d’une planète habitable “tête nue”, mais simplement d’un système comprenant une étoile d’un type spectral peu éloigné du type solaire (K, G ou F) et de petits corps en abondance. Bien entendu la présence d’une planète offrant une surface “praticable”, de type martien par exemple serait un plus très appréciable.
Parmi les systèmes proches, Epsilon Eridani (le système gravitant autours de l’étoile cotée epsilon dans la constellation de l’Eridan) est peut être le plus intéressant. Il a d’ailleurs fait l’objet de recherches avec le radiotélescope de Green Bank en 1960, pour y rechercher des signes de vie intelligente, avec des résultats négatifs bien entendu.
Le système est un des voisins proches du Soleil, ce qui constitue sa première condition d’élection. Il est situé à 10,5 années-lumière (3,2 parsec) seulement. Ironiquement, Eridan est le nom du fleuve dans lequel tomba Phaéton après sa désastreuse course trop près du Soleil. Souhaitons d’y tomber en nous en éloignant ! L’étoile de couleur orangée est d’un type assez proche du type solaire (0,82 masse solaire, type spectral K2 V).
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Le satellite d’observation infra rouge IRAS a détecté beaucoup de poussières autour de l’étoile, une indication possible d’un système planétaire en formation. Il est donc très probable que le système regorge de petits corps. En août 2000, une planète de la taille de Jupiter a été détectée à une distance de 3,2 UA (480 millions km) de l’étoile, sur une orbite présentant une forte excentricité (e=0,702) qui la fait rentrer à l’intérieur de l’écosphère sur un peu plus de 10% de la période orbitale, qui est assez courte (2502 j).
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Si cette planète possède des satellites géants, comme Jupiter ou Saturne, ceux-ci pourraient constituer une “villégiature semi-habitable” pour les archonautes.3
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Énergie et durée du trajet : l’équation de Tsiolkovski
L’atteinte d’Epsilon Eridani servira de cas d’école à l’évaluation de la SII. On considère une vitesse d’éjection moyenne efficace de 15 000 km/s. L’équation fondamentale de Tsiolkovski dans sa version non relativiste (v/c<<1) nous donne le ratio de la masse de départ à la masse de structure nécessaire pour l'atteinte d'une vitesse v quand la vitesse d'éjection est ve :
avec :
M0 : masse totale de départ.
M : masse “sèche” (sans carburant : structure et moteurs)
M0 = M + Mc, avec Mc la masse du carburant.
ve : vitesse d’éjection du carburant
v : vitesse atteinte en fin d’accélération
Après la phase d’accélération, on a une fraction de vol libre à vitesse constante, puis il faut décélérer pour arriver à vitesse nulle à destination. Cela implique un surcroit de carburant puisque qu’il faut accélérer dans un premier temps une masse de carburant qui ne sera consommé qu’au freinage, ce qui se traduit par la mise au carré de l’exponentiel :
La quantité de carburant détermine la vitesse finale et par là, la durée du trajet.
On note :
Da : les distances d’accélération et de freinage (cumulées)
Dl : la distance de vol libre
On définit k, le ratio masse carburant/masse totale :
On pose :
On a Ta, les durées d’accélération et de freinage (cumulées) :
Tl, la durée de vol libre :
On souhaite la durée d’accélération et de freinage la plus courte possible afin que l’essentiel du trajet se passe à la vitesse maximale. Mais par ailleurs une accélération intense implique une forte poussée ce qui implique des moteurs plus massifs et une structure renforcée pour résister à cette poussée sans se déformer.
Une technologie étant donnée, fixant la vitesse d’éjection du carburant (ve = 15 000 km/s) il reste deux paramètres libres pour le calcul de la durée du trajet (t), de l’accélération moyenne (a) et de la poussée (f) : la masse de carburant Mc et la distance d’accélération Da (on suppose que l’accélération et le freinage sont en tout point symétriques). Dans le graphique ci-dessous, on a représenté la variation des trois grandeurs de sortie (t, a, f ) en fonction des deux valeurs d’entrée (Mc et Da).
Nous ne pouvons pas encore réaliser de choix raisonné des valeurs d’entrées. On sait simplement que dans la mesure du possible il faut maximiser Mc et minimiser Da. Mc est constitué de substance fusible, un matériau rare (sans doute du deutérium pour l’essentiel). De tous les paramètres qui conditionnent la faisabilité matérielle d’une arche “gigatonnique”, la masse de carburant à extraire des petits corps est sans doute celui qui pose les problèmes les plus aigus. L’illustration ci-dessous représente une solution alternative, la voile photonique, permettant d’alléger la structure.4Propulsée par un laser posté de très grande puissance, par exemple depuis la Lune, l’Arche n’embarque que le carburant de freinage. Même avec l’immense surface représentée, l’insolation de la voile atteint plus de 1000 fois la constante solaire en orbite terrestre (1400 W/m²) : la surface doit être parfaitement réflechissante pour ne pas être évaporée par la puissance reçue. Et l’Arche dépend alors d’une source externe qu’elle ne contrôle pas.
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Pour la suite du propos, on retiendra la solution d’une accélération intégralement autonome et on prendra à simple titre illustratif le ratio M0/M nécessaire pour l’atteinte de 1,5% de c, soit 4500 km/s ce qui nécessite une masse totale de départ de 46 Gt (25 de structure + 21 de carburant). Pour une distance d’accélération + freinage cumulée de 0,5 al, on obtient un temps d’accélération de 67 ans (34 ans pour l’accélération et autant pour le freinage), une durée de vol libre de 667 ans, soit une durée totale de trajet de 734 ans, pour parcourir les 10,5 al nous séparant de Epsilon Eridani.
La structure de l’Arche, sa philosophie dans les grandes lignes
La stratégie longue se base sur l’édification d’une structure, l’Arche, au sein de laquelle une petite population, la Nation spatiale, pourrait vivre une existence indépendante. Cette structure doit permettre une vie à la fois totalement libre (vis-à-vis de la Terre), considèrant le plan de la nation entière et suffisament diversifiée sur tous les plans d’interaction sous lesquels nous envisageons l’existence, notion qui intéresse cette fois l’individu.
Lorsque l’on veut se représenter physiquement à quoi pourrait ressembler l’Arche trois contraintes préliminaires s’avèrent assez fortes pour en définir l’architecture générale.
a) La gravité artificielle
L’Arche doit permettre une vie normale, selon les standards terrestres et la première exigence concerne la gravité. L’accélération de la pesanteur résulte de la masse énorme de la Terre (5,97E24 kg) et il est évidemment hors de question de la recréer de cette manière. La seule solution alternative est d’accélérer circulairement une surface cylindrique à l’intérieur de laquelle prennent place les habitants. L’accélération ainsi crée g se calcule comme :
avec :
g l’accélération de la pesanteur en m.s-2
la vitesse angulaire de rotation en rad.-1
R le rayon du cylindre en m
L’accélération g est fixée égale à celle terrestre, soit 9,81 m/s². Le rayon de l’Arche, discuté ci-après, fait 5 km. Soit :
= 0,044 rad.-1, soit une période de révolution de 2 min 22 s.
La structure étant de dimension kilométrique, les masses en jeu, tant au plan de la masse sèche que du carburant nécessaire à sa propulsion seront considérables. Soumettre une masse à l’accélération de la pesanteur génère une force, ce qui nécessite de la renforcer afin qu’elle résiste à son propre poids. Concernant la structure habitable, il n’y a pas le choix, mais concernant le carburant et toute la partie moteur on a tout intérêt à ne pas les faire tourner avec la structure afin qu’ils restent en apesanteur. L’axe du cylindre offre naturellement un espace en apesanteur : l’accélération dépend linéairement de la distance au centre. Pour R=0, g=0. Toute la partie moteur devrait donc prendre place au centre, ou Moyeu du cylindre de l’Arche.
b) La surface de poussée
Toutefois, un calcul préliminaire de la surface de moteurs nécessaire, chaque moteur individuellement n’étant capable de fournir qu’une poussée finie et conçue petite, montre qu’elle doit être bien supérieure à la section d’un cylindre de 5 km. Au cylindre de l’Arche il faut donc coupler une très vaste surface propulsive qui ne doit pas être entrainée en rotation afin d’éviter un surpoids de structure, tout en transmettant sa poussée à l’ensemble.
Une première solution serait de placer cette corolle sous forme d’un vaste anneau à l’avant et de la relier par des câbles au moyeu du cylindre. Dans cette version approximative, l’Arche serait tractée comme la princesse Élisa par ses onzes frères transformés en cygnes dans le conte des “Cygnes Sauvages” d’Andersen.
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Mais si les onzes frères avaient toutes les douceurs pour leur jeune soeur, il émane de la corolle un plasma soufflant à une dizaine de milliers de km/s ainsi qu’un flot abondant de photons gamma, toutes choses très agressives et qui seraient fort dommageables à une structure située sous le flux.
La corolle sera donc placée en poupe. On doit se figurer fondamentalement l’Arche comme formée d’un disque immobile, la corolle, relié à un cylindre tournant, la structure habitable, situé devant.
La difficulté architecturale est de transmettre la poussée du disque au cylindre sans que ce couplage n’entraine le disque en rotation. Sans également faire ‘danser’ le cylindre, ce qui se produit par effet gyroscopique si l’axe de poussée ne ne se confond pas strictement avec l’axe de révolution. Le couplage des deux éléments ne peut se faire que par un point, et ce point doit être situé au centre géométrique exact de l’Arche. L’application de la poussée en un point unique de surface réduite, la palier central (diamètre ~ 25 m), permet de limiter au minimum les frottements qui transmettraient insidieusement le mouvement de rotation du cylindre à la corolle.
S’ajoute à cela que le disque n’est pas formé d’élements très rigides. Il s’agit, pour l’essentiel, de masses de glaces d’hydrogène peu cohésives. Une telle surface ne peut travailler en cisaillement. Ce serait le cas si la corolle devait pousser directement le cylindre par son centre. Une structure doublant la corolle, assez rigide pour recueillir la poussée sur toute la surface et travailler directement en cisaillement devrait être extrêmement massive. La règle générale dans les structures de très longue portée c’est qu’un élément travaillant en compression (comme les murs d’une maison) est bien plus massif qu’un élément travaillant en traction (un cable), à contrainte égale. Et ceci d’autant plus que la portée augmente. C’est pourquoi il est difficile de construire des tours très hautes sur Terre. Ici, il n’y a donc d’autres choix que de faire travailler la corolle en traction, selon des points d’attaches régulièrement disposés le long de son périmètre et de ses rayons en la haubanant à une poutre qui transmettra la poussée au centre de l’Arche, via un palier. Cette poutre devient le seul élément à travailler en compression.
À mi-trajet, on se souvient qu’il faut inverser la poussée afin d’arriver à vitesse nulle à destination. Retourner une structure de cette taille est d’autant moins aisé que son moment d’inertie second (perpendiculaire à l’axe de rotation) est grand, ce qui est le cas. Il est plus simple de disposer d’une corolle symétrique à la première sur l’avant, le jet de freinage étant alors dirigé le moment venu vers la cible. L’épais matelas de glace d’hydrogène qui s’étalle alors à la poupe permet sans dépense additionnelle de prémunir l’Arche des collisions avec de petits corps interstellaires, perspective très improbable mais aux conséquences devastatrices à 4500 km/s.
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c) La masse de la structure
La masse sèche de l’Arche discutée dans le présent article représente quelques 25 Gt (gigatonnes) ou 2,5E13 kg. Il y aurait lieu bien entendu de discuter de ce qui fonde cette estimation et des paramètres qui peuvent intervenir pour la reconsidérer. Mais en tout état de cause, on pressent que pour une structure kilométrique sous tension il doive s’agir d’une masse “gigatonnique”. Faire décoller une telle structure de la Terre est fantaisiste : le puits gravitationnel est trop profond et le corps devrait être déraisonnablement renforcé pour résister à la poussée du départ. La construction devra donc se faire entièrement dans l’espace. Mais même l’apport des matériaux nécessaires à son édification est, sauf pour une part congrue, irréaliste venant de Terre, pour des raisons énergétiques. L’extraction se fera préférentiellement sur les petits corps du système solaire (astéroïdes et comètes), dont le puits de gravité est minuscule puis acheminé en orbite terrestre. La structure de l’Arche est bien plus grande et massive que n’importe quel artefact humain jamais envisagé, et c’est aussi celui qui devrait rester intègre sur la plus longue durée, avec une exigence absolue de résistance et d’étanchéité. Satisfaire un seul de ces deux impératifs nécessiterait une réflexion neuve. C’est a fortiori le cas lorsque les deux sont réunis. À quelques exceptions près, dont la structure des premiers aéronefs en bois et textiles, toutes les constructions aéronautiques sont métalliques. Il existe dans le système solaire une abondance assez grande de petits corps métalliques, les astéroïdes de type S qui représentent 17% des astéroïdes répertoriés : même si l’on se concentre sur les seuls éléments métalliques légers (Al, Mg, Ti…) l’abondance n’est pas un problème. Mais concevoir une telle structure entièrement faite de métaux par des moyens conventionnels est difficilement envisageable pour plusieurs raisons. Les métaux se présentent à l’état natif sous forme d’oxydes (état lié avec l’oxygène : XnOm) et leur réduction (pour les obtenir sous forme d’éléments purs) nécessite l’atteinte de hautes températures ou d’ampérages intenses ce qui réclame la production en masse d’énergie électrique. Leur mise en forme et leur assemblage sont eux-même coûteux en énergie et réclament beaucoup de soin. Ce sont des corps denses et qui offrent un ratio résistance en tension sur masse spécifique assez modeste. Ils sont soumis à un phénomène de “fatigue” (formation de dislocations dans le réseau cristallin) qui les rigidifient et aboutissent à la formation de fissures. Ils sont oxydables de diverses manières, alors même que l’intérieur de l’Arche est érosif (cycle atmosphérique saisonnier, air humide, couche océanique…).
Considérant par constraste que les éléments chimiques qui composent majoritairement les petits corps du système solaire sont plus légers que les métaux et que l’on recherche une structure légère, considérant par ailleurs que même si nous n’en sommes pas les auteurs, nous disposons grâce à l’Évolution des végétaux d’un immense savoir-faire naturel dans l’édification de structures fibreuses résistantes et auto-entretenues sur la base de ces atomes légers, tirant partie d’une énergie solaire dont on dispose en abondance, on en vient à imaginer que la structure de l’Arche puisse s’édifier par croissance naturelle plutôt que par construction, avec des parois de fibres végétales. Les éléments constitutifs en sont, on l’a dit, plus légers et plus abondants (CHON), elles offrent un excellent ratio résistance/poids et sont de conception très sécurisante (elles “préviennent” avant de céder). Surtout : elles se régénèrent, ce dont aucune structure classique n’est capable. Il peut sembler assez iconoclaste de faire pousser un ‘végétal’ dans le vide spatial. Pourtant, la seule chose à faire est d’isoler les cellules vivantes de ce vide, et là encore le fonctionnement biologique peut s’en charger avec production d’un épiderme cohésif de cellules mortes dans une matrice caoutchouteuse, sur quelques décimètres. L’autre avantage concerne la construction même : l’ingénierie se résume à nourrir une structure vivante en éléments simples prélevés sur les petits corps : H2O, CO2, azote, phosphore… La structure grandit sur une orbite intérieure en utilisant l’énergie solaire, depuis un stade embryonnaire jusqu’à sa dimension adulte kilométrique en deux ou trois siècles. Durant ce laps de temps, elle est habitable par ses hôtes bâtisseurs. Sur le trajet interstellaire, il faut ensuite assurer de l’énergie d’entretien sous forme lumineuse.
La biosphère de l’Arche est formée d’une pellicule océanique, d’une profondeur d’environ 25 m, sur laquelle flottent des caissons jointifs (ou ballast) supportant une mince couche de sol.
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Une vie entière dans l’Arche ?
Peut-on sérieusement envisager une existence normale, accomplie sur tous les plans, au sein d’une structure artificielle éloignée de la Terre ? Le peut-on pour soi-même et peut-on imaginer sans frémir y voir se succéder la lignée dont nous serions l’ancêtre ? Cette perspective constitue sans doute le frein psychologique le plus immédiat, mais pas forcément le plus profond, que tout terrien normalement constitué opposera de prime abord à l’idée d’une vie dans l’Arche.
Pour aborder ce point central, nous userons d’une notion que l’on pourrait appeller l’horizon individuel qui se paramètre par son rayon défini comme la profondeur d’action de l’individu, sur le plan considéré que l’on pense essentiel à une existence méritant d’être vécue. Sur tous ces plans, on recherche le rayon minimum pour lequel ces exigences sont satisfaites, si ce n’est pleinement au moins en les combinant quand c’est possible.
Horizon d’espace visuel : Dimension dans laquelle s’exprime le rayon : l’étendue du paysage où porte le regard. Il s’agit de la première aperception sensible de l’espace offert, et il dimensionne à lui tout seul le projet. Sur Terre, quel est le rayon de notre horizon visuel ? De 1 à 10 km environ, en fonction du relief. Ceci fixe les dimensions typiques de l’Arche. Concrètement le regard porte suffisamment loin pour ne pas donner l’impression de se sentir à l’étroit où que l’on se trouve. Au sol, une épaisseur de 1 à 10 m de terre végétale et de roches-mères suffisent.
Horizon de circulation physique : Dimension du rayon : la surface ou le volume explorables par l’individu. Sur Terre le regard ne porte qu’à 1 à 10 km, mais nous disposons d’un espace qui va bien au delà pour nous déplacer. Le rayon de notre horizon de circulation physique atteint des milliers, voire des millions de km². Sur ce plan, il parait franchement impossible d’envisager reproduire ce que nous offre potentiellement la Terre entière. Toutefois ce que la Terre nous offre est un potentiel que bien peu de gens exploitent dans les faits au cours d’une seule existence. Pour une majorité d’humains, considérée dans l’espace-temps de l’historicité humaines, leur existence toute entière s’est déroulée dans un espace de quelques centaines de km².
On peut ajouter à ceci que le rayon de cet horizon se trouve sensiblement augmenté si le milieu offre une grande diversité. Mille km² de désert ne nous offrent pas le même rayon d’action, sur ce plan-là, que cent km² dans lesquels on trouverait une ville, une forêt, des champs, un cours d’eau et tout autre élément de diversité paysagère. On se propose de maximiser sur ce plan la diversité offerte par les milieux naturels de l’Arche en reproduisant l’essentiel des grands écosystèmes terrestres.
En outre, une structure artificielle comme l’Arche offre par sa conception même un développement sur plusieurs niveaux, en allant du centre vers la périphérie, tandis que la surface terrestre se présente comme purement bidimensionnelle, sans épaisseur explorable (exception faite des fonds marins et des cavités).Ces différents niveaux offrent une diversité de milieux totalement inédite sur Terre : espace de micro-pesanteur, balade dans l’espace sur la poutre centrale ou dans les volume percé de galeries des glaces d’hydrogène du carburant, fonds océaniques ainsi que d’autres surfaces ou volumes qui apparaitrons quand nous détaillerons la structure. Tous les milieux de l’Arche, en surface comme en volume, peuvent être conçus pour être accessibles à la simple promenade. Certains seront très diversifiés d’autres plutôt monotones. Ensemble, ils offrent un très grand rayon à l’horizon de circulation physique. Le rayon maximal de l’horizon d’espace visuel étant fixé à 10 km, on peut pour commencer envisager le module d’habitation sur cette base là. Il se présenterait comme une surface cylindrique de longueur L=10 km sur 10 km de diamètre (soit un rayon R=5 km). L’aire habitable A0 offerte est de :
A0 = 2πRL
Soit A0 = 314 km², qui représente le rayon primaire de l’horizon de circulation physique, quelque chose comme le ‘plancher des vaches’, offrant des conditions d’existence en tous points comparables aux standards terrestres. Il est difficile de quantifier rigoureusement ce que représentent les espaces développés sur la base de ce rayon primaire puisqu’ils s’y mèlent à la fois des surfaces et des volumes. Sans prétendre donner autre chose qu’un estimateur intuitif, on peut toutefois assurer que ce rayon sera décuplé. En ordre de grandeur, une Arche dont le rayon d’horizon d’espace visuel est fixé à 10 km offre un espace de circulation comparable à un département français de taille moyenne, espace historiquement dimensionné comme celui pouvant être parcouru à cheval dans l’espace d’une journée.
Bien sûr, même si on ne se sent pas exactement à l’étroit à l’intérieur d’un tel rayon de circulation physique, cela peut paraitre exigue dès lors que l’on se reporte par l’imagination – et comment ne pas le faire - aux immensités terrestres. Mais on confond alors deux plans. L’espace terrestre, redisons-le, ne nous est offert que potentiellement. Seule une infime minorité d’entre-nous le parcourt d’un pôle à l’autre ou sur tous ses fuseaux horaires. Et les grands voyageurs mêmes, n’explorent jamais, au fond, que la longueur de leur pas. Quand nous passons d’Europe en Chine, ce que nous explorons le mieux c’est le siège passager de l’avion qui nous y mène. Il serait spécieux d’affirmer que l’on a “traversé l’Afghanistan” parce qu’on l’a survolé à 10 000 mètres d’altitude. Et quand on a visité la Chine, le rayon réel de circulation physique qui fut le nôtre n’a nullement été assimilable à la taille de cette nation. Il s’est résumé aux quelques places visitées, aux quelques curiosités naturelles, à une ville ou deux et, au sein même de ces villes, à quelques lieux remarquables… remarquables… et à la chambre d’hôtel, sans doute le lieu le mieux exploré de tout le périple, ceci dit sans ironie aucune. L’espace réel de circulation n’est pas indexé à l’immensité terrestre mais au temps dont nous disposons. C’est là le véritable critère. Le fait de disposer potentiellement d’un monde immense qui nous tend les bras n’est pas du tout négligeable. Mais il s’agit d’un aspect moral qui doit être envisagé à part. Il peut nous sembler important de disposer d’un vaste monde où porter nos pas mais si l’on intègre sur notre vie entière les espaces au sein desquels on aura pu effectivement constater notre présence, il est probable qu’ils ne dépasseront pas le rayon de circulation physique envisagé pour l’Arche.
Horizon d’interaction sociale : Dimension du rayon : effectif et diversité de la population des archonautes. Le terme d’archonautes désigne les habitants de l’Arche. Pour atteindre le seuil de diversité minimal, il faut autrement dit que l’on puisse toute sa vie rencontrer des gens que l’on n’a jamais croisés auparavant. C’est aussi ce qu’on pourrait appeler le seuil d’anonymat : en se promenant dans la foule, on rencontre des inconnus en proportion au moins aussi grande que des connaissances. Cela correspond à ce qui se réalise dans une petite ville, soit une population comprise entre 10 000 et 100 000 habitants, avec une valeur moyenne fixée pour la commodité de l’exposé à 50 000 habitants.
Par rapport à la souche terrestre, l’Arche convoie une diversité humaine maximisée. Toutefois, il faut sans doute imaginer un peuplement qui se fasse essentiellement par croît naturel. Le peuplement initial, effectuant le trajet Terre-Arche pourrait ne comprendre que 2000 foyers (disons 5000 personnes) formés d’adultes (et de leur progénitures) compétants dans les domaines utiles à la construction puis a l’entretien de la structure et de la propulsion. Soit pour les lignées se succédant dans l’Arche une ascendance uniformément “méritocratique” c’est à dire formée de volontaires sélectionnés pour leur ultilité sociale dans le cadre du projet. Le temps d’acclimatation et d’équilibration démographique, comprenant la possibilité d’aller-retour vers la Terre sera sans doute supérieur au siècle.
Horizon d’activités sociales : Dimension du rayon : diversité et intensi
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