Le paradoxe : une enquête favorable aux ovnis mais qui dénigre les ufologues.
Un événement médiatique important vient d’avoir lieu en France : le documentaire de Canal Plus Ovnis : quand l’armée enquête, diffusée une dizaine de fois, du 27 mars au 6 avril 2008, dans le cadre du magazine « Investigation ». L’enquête a duré près d’un an, et la chaîne l’a traité comme un événement exceptionnel à ses yeux : le premier passage était programmé en première partie de soirée, et l’émission était d’une durée de 80 minutes au lieu du format habituel de 52 minutes.
Disons le clairement : c’est une enquête très bien faite qui présente de manière positive la question des ovnis. Malheureusement, il faut d’abord déplorer que les présentateurs aient tenu des propos désobligeants à l’encontre des ufologues, au début et à la fin de l’émission. Au début, la présentatrice souligne qu’ils ont enquêté « loin des ufologues et de leurs farfelues révélations » ; Le commentaire final souligne que « les militaires sont prudents pour ne pas alimenter les délires des ufologues et des chasseurs d’extraterrestres ». Ces deux piques sont très injustes. S’il est vrai que circulent, malheureusement, bien des propos fumeux, aventureux et irresponsables, notamment sur Internet (qui tend à devenir la référence pour enquêteurs pressés), ne voir que cela, c’est révéler une grande méconnaissance du sujet. Ces journalistes ne semblent pas se rendre compte de tout ce que l’énorme « dossier ovni » doit à plus d’un demi-siècle d’enquêtes indépendantes à travers le monde, souvent difficiles, et la plupart du temps bénévoles. Il eut été convenable de le rappeler.
Pourquoi cette image si négative de l’ufologie ? Nous la devons d’abord à des « agités » brandissant diverses « théories du complot », annonçant l’arrivée prochaine des « grands frères de l’espace » qui vont nous sauver, ou au contraire d’horribles aliens qui vont nous croquer. Ces « révélations » sensationnelles se vendent bien et s’étalent sur les tables des libraires. Pour prendre la mesure de cette image négative, lisez donc La foire aux illuminés, gros pavé de l’intellectuel bien connu Pierre-André Taguieff, qui a tout lu sur ces théories extrêmes, mais rien d’autre sur les ovnis !
Mais ce n’est pas tout. Cette mauvaise image est due aussi au travail de sape réalisé depuis des décennies par une cohorte nombreuse de sceptiques, ou « faux sceptiques » comme les appelle Joël Mesnard, toujours bien accueillis dans le monde intellectuel et médiatique. Les plus agressifs sont souvent d’anciens « croyants » qui rejettent ce qu’ils ont adoré. Il n’est pas étonnant, dans ce lourd contexte, que les journalistes de Canal Plus aient trouvé opportun de se démarquer de l’ufologie.
Cela dit, cette émission a essentiellement le mérite de montrer que des représentants « officiels » de nombreux pays, dont la France, prennent le sujet au sérieux. Espérons que cela va secouer un peu un public français habitué à voir les ovnis traités avec scepticisme, comme dans la récente émission de France 3 « Pièces à conviction » de juin 2007, quand ils ne sont pas tout simplement tournés en dérision. Une partie de la presse a plutôt bien annoncé l’émission, par exemple le Nouvel Observateur (cahier Télé Obs) et Télérama, alors que ces magazines sont connus pour avoir, dans le passé, affichés un scepticisme de bon ton sur les ovnis. Par contre Le Monde n’en a pas dit un mot, alors qu’il a publié récemment une pleine page élogieuse sur l’astronome André Brahic, grand pourfendeur des ovnis (article du 21 février 2008 « Pour l’amour du ciel »). On y lit qu’il fait « le malheur des astrologues ou des ufologues qu’il pourfend toujours avec entrain dans les médias ».
Deux obstacles à surmonter : scepticisme médiatique et politique du secret.
Pour saisir l’intérêt et la portée de cette émission, en dépit de ses piques anti-ufologiques, faisons encore un petit rappel « historique » sur le traitement si souvent négatif des ovnis dans les médias français. À ce sujet, je recommande la lecture de l’excellent livre de Joël Mesnard, qui vient de paraître, Vérités et mensonges sur les OVNIS (Editions Trajectoire). Il rappelle dans son préambule l’incroyable histoire de la « fermeture du Bureau britannique des soucoupes volantes », nouvelle fracassante qui avait fait immédiatement le tour du monde, et ravi les sceptiques. En réalité, ce n’était qu’un petit groupe provincial qui avait suspendu son activité pour l’été ! Or le démenti qui avait suivi avait été pratiquement passé à la trappe.
En France, nous avons encore eu droit, en juin 2007 sur France 3, à une émission presque entièrement acquise aux sceptiques, tel le « zététicien » Henri Broch, présent sur le plateau. C’est pourtant une émission habituellement de bonne qualité, « Pièces à conviction », présentée par Elise Lucet, et ce mauvais coup n’en a été que plus dur. J’ai appris, et il me l’a confirmé, que le président du comité de pilotage du GEIPAN, Yves Sillard, ancien Directeur Général du CNES, qui avait été pressenti initialement pour cette émission, en avait été finalement écarté. Par contre, le sceptique Eric Maillot avait obtenu le dernier mot, contre un Jean-Jacques Velasco ulcéré, sur Trans-en-Provence : un canular selon lui, alors que ce cas a été remarquablement étudié par le GEPAN. Passé à la trappe à France 3 !
Pourtant, il y a eu un tournant positif, en 2006, avec la mise en ligne des archives du GEIPAN, auxquelles L’Express a alors consacré six pages positives : on n’avait pas vu cela, dans la presse française, depuis très longtemps ! Pour dire les choses clairement, il y a en France, depuis au moins deux ans, une sourde bataille dans les médias, dont l’issue est encore incertaine. Il y a des signes encourageants, depuis quelques temps, malgré le fiasco de France 3. J’ai résumé l’année dernière l’évolution de la situation en France, et tout particulièrement la réouverture du service officiel français, le GEIPAN, pour une conférence que l’on m’a invité à faire à l’étranger, car cela intéresse beaucoup les ufologues, à l’extérieur de nos frontières. On peut la lire (en anglais) sur ce site
Répétons-le, la situation semble bouger actuellement un peu partout dans le monde, en Europe, aux Etats -Unis et au Canada, en Amérique latine, voire même au Japon, et l’émission de Canal Plus reflète bien cela. On constate une certaine évolution vers une reconnaissance de la réalité des ovnis, notamment par les armées de différents pays. Pour l’Amérique latine, je rappelle mon compte-rendu sur la conférence de Curitiba, au Brésil en novembre 2007, à laquelle j’avais été invité.
Il y a une exception notable, cependant : les Etats-Unis, du moins le ministère de la Défense, dont l’attitude de négation persistante devient ainsi de plus en plus insolite. C’est un autre mérite de l’émission de Canal Plus de ne pas avoir escamoté cet aspect si important du dossier Ovni : le silence officiel américain, qui confirme de plus en plus le maintien d’une politique du secret sur les ovnis dans ce pays. L’entretien avec l’avocat américain Peter Gersten est clair sur ce point. De même, le fait qu’ils n’ont eu aucune réponse du Pentagone à plusieurs demandes d’entretien.
Il est vrai, par contre, que les aspects les plus « chauds » et difficiles du dossier Ovni ont été évités dans cette enquête - par exemple la question complexe et controversée des enlèvements, l’affaire de Roswell et ses suites, la nature de ces « visiteurs » mystérieux, la dimension historique du « phénomène » – mais c’était le bon choix à faire pour réussir une réouverture en souplesse du dossier vis-à-vis d’un public français sous-informé, en particulier le monde intellectuel et scientifique (du moins en public). C’est un choix que, pour ma part, je comprends, en dépit du fait que je me suis surtout intéressé à de telles questions. Ne nous leurrons pas : Il va encore falloir du temps pour reprendre tout cela sérieusement.
Quelques notes sur le contenu de l’émission.
Résumons le contenu de l’émission, avec quelques commentaires éventuels.
On assiste d’abord à une séance du comité de pilotage du GEIPAN, réunissant notamment, sous la présidence d’Yves Sillard, des représentants de la Direction Générale de l’Aviation civile, de l’armée de l’Air, de la Gendarmerie Nationale et de la Police, et bien entendu l’ingénieur du CNES en charge du GEIPAN, Jacques Patenet. Yves Sillard évoque les observations de lumières inexpliquées près de Hessdalen, en Norvège, et les analyses scientifiques qui en sont faites, une étude à laquelle il serait intéressant que se joigne le GEIPAN.
Yves Sillard, à l'époque Secrétaire général adjoint de l'OTAN.
(STRIANA Productions)
Une "lumière nocturne" de Hessdalen..
(c)Projet Hessdalen
Vient ensuite une séquence sur les observations de deux pilotes britanniques aux environs de l’île de Jersey, le 23 avril 2007, avec interview du pilote Ray Bower qui dessine un croquis d’un très grand ovni de forme allongée. Il espère bien de jamais le revoir sur sa route ! Un aspect curieux mais classique est que l’ovni n’a pas été repéré par les radars, comme le confirme ensuite de contrôleur aérien Marc Angee, interviewé au centre de contrôle aérien de Brest, pour l’Ouest du pays. Mais Angee ne rejette pas pour autant l’observation. Il explique que ces pilotes ne plaisantent certainement pas, et que d’ailleurs il en connaît beaucoup d’autres qui ont vu des ovnis mais ne veulent pas en parler : « Qui dit ovni, dit ET, et donc c’est ridicule !!».
Une photographie de l'OVNI qu'aurait fait un passager du commandant Ray Bowyer
Après une brève présentation du GEIPAN, où l’on parle de « PAN » plutôt que d’ovni, on visite ensuite la Direction générale de la Gendarmerie à Paris, où le commandant Laurent Barrue montre une série de gros dossiers : Les archives des trois dernières années. Il confirme la statistique du Geipan : 28 % de cas non identifiés…
Ensuite, le, pilote Jack Krine, colonel de réserve, 15 000 heures de vol, ancien leader de la patrouille de France, ancien commandant de bord et instructeur sur Airbus, confirme une très belle observation, avec un autre pilote, en octobre 1975 : L’apparition et la disparition fulgurante à trois reprises d’un ovni fuselé avec des « hublots » d’où émanait une lumière blanche très intense. Les deux pilotes décidèrent à l’époque de se taire… C’est le bon moment pour signaler qu’il existe un fichier de 1 400 observations de pilotes dans le monde…
Le colonel Jack Krine.
(STRIANA Productions)
Un expert d’analyse photo, François Louange, qui coopère avec le Geipan, présente d’abord un canular, mais affirme ensuite l’authenticité de la fameuse photo nocturne d’un triangle en vol stationnaire à faible altitude, à Petit Rechain, en Belgique, le 4 avril 1990. Il a étudié la photo originale, a rencontré son auteur, et il n’y a pas de doute pour lui. L’explication par un avion américain F-117 ou autre est exclue selon lui. Il souligne, comme argument fort sur la réalité des ovnis, la similitude de milliers de témoignages à travers le monde (heureusement, il y a aussi des ufologues pour les recueillir !).
L'OVNI de Petit-Rechain (Belgique)
(Sofam)
Retour au CNES à Toulouse, où Jacques Patenet donne un cours sur les ovnis aux élèves aiguilleurs du ciel de l’Ecole Nationale de l’Aviation civile : Eh oui, il faut qu’ils soient au courant !
Petite visite au général de division aérienne Denis Letty qui avait animé l’équipe du COMETA (encore des oubliés à France 3). Il confirme les opinions, exprimées à l’unanimité par le groupe dans son rapport de juillet 1999, qui avait « fait l’effet d’une bombe ». Sur l’hypothèse « très controversée », dit le journaliste, d’objets pilotés « par une intelligence », Letty confirme : « On privilégie cette hypothèse ». Notez la prudence adroite de la formule. Le mot « extraterrestre » a encore mauvaise presse… Je signale au passage que le rapport COMETA est toujours disponible en librairie (aux Editions du Rocher, et au format de poche chez J’ai Lu). Puis, le commandant Frédéric Solano, responsable du département Médias au Ministère de l’Air, confirme qu’on y prend les ovnis au sérieux : Les pilotes doivent remplir un formulaire en cas d’observation.
Nous partons ensuite à l’étranger, et j’accélère le résumé. Une séquence, longue, mais intéressante, sur les lumières de Hessdalen, en Norvège, est l’occasion de montrer un beau document vidéo, et une analyse spectrale suggérant la présence de métaux, et donc d’un objet solide, métallique. Selon le physicien Erling Strand, de l’université Ostfold, on a vu aussi une lumière clignotante doubler sa fréquence lorsqu’on y dirigeait un faisceau laser… Une longue étude en cours, à laquelle le GEIPAN envisage de participer.
L’équipe a ensuite visité le Pérou et le Chili. Au Pérou, le commandant Julio Chamorro a créé il y a six ans un organisme d’enquête officiel à la suite de nombreuses observations, explique-t-il.- Le commandant Santa Maria Huertas, également interviewé, raconte comment il avait intercepté en 1980 un ovni qui s’approchait de la base aérienne à 600 m d’altitude. Il avait tiré 64 obus mais l’ovni, au lieu d’exploser, avait fait une ascension très rapide, suivi par l’avion jusqu’au plafond de celui-ci, à 19 000 m. Le pilote avait pu ainsi observer de près une soucoupe classique, d’apparence métallique et parfaitement lisse. On a l’impression, une fois de plus, d’une « monstration », comme disent les philosophes contemporains : « « Viens donc me voir de plus près ! ».
Le commandant Santa Maria Huertas qui a tenté d'intercepter un OVNI à Arequipa (Pérou)
Au Chili, même son de cloche. La commission d’enquêtes, dirigée par Gustavo Rodriguez, confirme le grand nombre d’observations inexpliquées qui ont conduit à la création de cet organisme. Sergio Werner, instructeur de vol en 1997, a vu, avec son élève et un mécanicien, un objet blanc et jaune qui est parti à une vitesse foudroyante.
Aux Etas-Unis, c’est une autre histoire, que rappelle rapidement le documentaire, avec notamment la conférence de presse du général Samford en 1952, à la suite d’observations répétée au-dessus de la capitale. L a première (en oubliant le général Ramey en 1947, mais ne touchons pas à Roswell), et la dernière d’un général américain, sur les ovnis. Conclusion de l’époque : Probables inversions de température ! Accélérons sur cette histoire très connue : Fin des enquêtes officielles en 1969. Visite aux archives de la commission « Blue Book » qui contiennent encore pas mal de pages intéressantes, malgré les efforts de nettoyage. Visite à Peter Gersten, déjà cité, qui a obtenu, non sans peine et en faisant jouer la loi « FOIA », 900 pages, souvent très noircies, de la CIA, mais qui s’est heurté à un mur à la NSA. Puis, pas de réponse du Pentagone à plusieurs demandes d’entretien.
Je redresse quand même deux erreurs de certains commentaires critiques. Nick Pope est bien présenté comme ancien cadre du Ministère de la Défense britannique dans le commentaire oral, mais le mot ancien est oublié dans la légende qui suit : Passons sur cette petite omission ! L’astronome sceptique Yan Ridpath est bien interviewé, à la suite du sergent Penniston et du colonel Halt, mais ses explications sont ensuite complètement ridiculisées par Halt et Pope : La lumière d’un phare au loin fait rire Halt (« Il n’était pas là ! L’ovni était ici et le, phare là-bas ! »). Pour les trous de lapins « expliquant » trois traces au sol, l’armée en a fait des moulages et cela correspondait à un poids de plusieurs tonnes, explique Nick Pope, qui montre le moulage et s’esclaffe : « Ça devait être un très gros lapin ! »
Le colonel Chales I. Halt, ancien commandant adjoint de la base Bentwaters (Royaume-Uni)
Un des moulages d'empreintes du site de Rendlesham
Vient ensuite un entretien avec le Dr Richard Haines, ancien de la NASA, qui a fondé le NARCAP, un organisme privé spécialisé sur les observations de pilotes et sur la sécurité aérienne. Il a questionné 3 000 pilotes et a découvert avec étonnement qu’un sur cinq avait en moyenne avait fait une observation. Et encore s’agit-il de pilotes civils, les militaires refusant de témoigner car ils craignent des répercussions pour leur carrière.
Quelques mots, pour finir, sur la dernière enquête : Les lumières de Phoenix, en Arizona, le 13 mars 1997. C’est une affaire complexe qui s’est déroulée en deux temps : Vers 20 h, un énorme ovni en forme de V renversé qui est passé au-dessus de la ville en couvrant une grande partie du ciel étoilé ; Vers 22 h, l’apparition pendant quelques minutes d’une série de lumières alignées au loin. Il y a eu de très nombreux témoins pour ces deux épisodes, mais le gouverneur de l’Arizona Symington les avait à l’époque ridiculisés. Cependant, étant maintenant à la retraite, il a avoué - et il le confirme dans ce documentaire - qu’il était au nombre des témoins de ces observations ! Cela dit, il subsiste une incertitude sur les lumières de 22 H, que les militaires ont expliquées comme étant un exercice de fusées éclairantes. Bruce Maccabee, physicien et ufologue réputé, estime que cette explication ne peut être écartée, ce que ne dit pas le film. En l’occurrence, cette affaire montre combien les enquêtes peuvent être parfois difficiles.
L'OVNI de Phoenix vu vers 20 heures, reproduit par un témoin.
(c) Ley 1997