Onde gravitationnelle
Onde gravitationnelle
En physique, les ondes gravitationnelles sont des oscillations de la courbure de l'espace-temps. Albert Einstein en a prédit l'existence en 1918 en se basant sur sa théorie de la relativité générale[1].
Les ondes électromagnétiques (perturbations des champs électrique et magnétique) sont produites par les particules chargées accélérées. De la même façon, les ondes gravitationnelles sont produites par des masses accélérées[2]. La production efficace d'ondes gravitationnelles demande de très grandes masses et de très grandes accélérations (des vitesses approchant celle de la lumière). Ainsi, les sources d'ondes gravitationnelles sont principalement des systèmes astrophysiques impliquant des objets massifs et très denses comme les étoiles à neutrons ou les trous noirs pouvant supporter de grandes accélérations.
Bien que les ondes gravitationnelles n'aient jamais été détectées directement à ce jour, on dispose d'une preuve observationnelle indirecte de leur existence. Russell Hulse et Joseph Taylor ont fourni cette preuve en observant le pulsar binaire PSR B1913+16 et montrant que sa période orbitale décroit précisément comme le prédit la théorie de la relativité générale si l'on considère que ce système perd son énergie par émission gravitationnelle. Ce résultat a valu à ces deux chercheurs américains de recevoir le prix Nobel de Physique en 1993.
Sommaire
[masquer]Introduction
Dans la théorie de la relativité générale, la gravité provient de la courbure de l'espace-temps. Cette courbure est causée par la présence d'objets possédant une masse. Plus la masse de l'objet est grande, plus la courbure produite est grande et ainsi plus la gravité est intense.
Lorsque des objets massifs se déplacent dans l'espace-temps, la courbure de l'espace-temps s'ajuste pour refléter le changement de la position de ses objets. Sous certaines circonstances, les objets accélérés peuvent produire une perturbation de l'espace-temps qui s'étend et se propage de manière analogue à "des vagues à la surface de l'eau". On désigne par onde gravitationnelle ce type de perturbation. On prédit qu'elles se propagent à la vitesse de la lumière.
Ainsi, l'existence des ondes gravitationnelles résulte en quelque sorte de l'application à la gravité du principe d'invariance de Lorentz qui introduit le concept de vitesse limite pour la propagation des interactions physiques (concept inexistant dans la vision newtonnienne de la gravitation, cette interaction se propageant à une vitesse infinie dans cette théorie).
L'analogie entre des charges électriques en mouvement et des masses en mouvement permet de mieux appréhender le phénomène : de la même manière que l'accélération de particules chargées produit des ondes électromagnétiques, l'accélération de particules possédant une masse produit des ondes gravitationnelles.
La plupart des théories de gravité quantique postulent l'existence d'un quantum correspondant appelé le graviton de façon analogue à l'électrodynamique quantique dans laquelle le vecteur de la force électromagnétique n'est autre que le photon. L'onde gravitationnelle est associée au graviton, et ses caractéristiques donnent alors de précieuses informations sur cette particule.
Effet causé par une onde gravitationnelle
Considérons un cercle de particules test en chute libre (soumises uniquement à la gravité). Une onde gravitationnelle se propageant perpendiculairement au plan du cercle entraine la déformation de ce cercle. Il est étiré de manière alternée dans une direction tandis qu'il est comprimé dans l'autre tout en gardant une surface constante comme indiqué dans les animations ci-contre. L'amplitude des oscillations montrées dans les animations est grandement exagérée. En réalité, l'amplitude des ondes gravitationnelles est très petite. L'effet de l'onde sur les particules est nul dans la direction de propagation. On dit que les ondes gravitationnelles sont transverses.
Les animations nous permettent de visualiser les oscillations associées à une onde gravitationnelle sinusoidale ce qui explique l'évolution des figures dans les animations. Une telle onde peut être produite par le système physique idéal constitué d'une paire de masses identiques en orbite circulaire. Dans ce cas, l'amplitude de l'onde est constante et son plan de polarisation tourne continuement à deux fois la fréquence orbitale.
On note usuellement l'amplitude des ondes gravitationnelles , qui est un nombre sans dimension, quantifiant l'importance relative de la compression ou de l'étirement dans les animations. L'amplitude montrée ici est d'environ (soit 50 %). Dans la réalité, les ondes gravitationnelles reçues sur Terre sont plus que des milliards de fois plus petites que cela. Typiquement, on estime que .
Polarisation des ondes gravitationnelles
Il existe deux polarisations, ce qui est équivalent à dire que les ondes gravitationnelles possèdent deux degrés de liberté indépendants notés et . La polarisation d'une onde gravitationnelle est identique à celle d'une onde lumineuse à ceci près que l'angle entre les polarisations est de 45 degrés plutôt que 90 degrés. L'effet d'une onde rectilignement polarisée avec la polarisation "plus" est identique à celui avec la polarisation "croix" mais tourné de 45 degrés comme illustré dans les animations ci-dessus. La polarisation des ondes gravitationnelles résulte de la nature de leur source et le degré de polarisation dépend de l'orientation de la source par rapport à l'observateur.
Les ondes gravitationnelles sont définies comme les perturbations de la métrique qui du point de vue des équations d'Einstein sont découplées des perturbations du tenseur énergie-impulsion. Les ondes gravitationnelles ont une symétrie tensorielle (mathématiquement, on parle de spin 2), par opposition aux perturbations de la matière qui ont soit une symétrie scalaire (spin 0), soit une symétrie vectorielle (spin 1). Ceci est directement relié au nombre de polarisations.
Pour trouver l'origine de ce nombre, il faut considérer le tenseur métrique dans son ensemble, qui est décrit par une matrice symétrique contenant 10 entrées indépendantes, et soustraire tout d'abord les degrés de liberté non-physiques associés à l'invariance de la théorie sous la symétrie de reparamétrisation de l'espace-temps. Ceux-ci sont au nombre de 4. Il faut également soustraire les degrés de liberté qui sont couplés aux perturbations du tenseur énergie-impulsion. Il y a un tel degré scalaire et trois degrés vectoriels. Au final, il ne reste donc que deux degrés de propagation physique[3].
Existence des ondes gravitationnelles
L'existence des ondes gravitationnelles a été longuement débattue [4]. La question était de savoir si ces ondes avaient effectivement une réalité physique ou bien elles résultaient d'un "pur effet de gauge", autrement dit d'un choix de système de coordonnées. Cette question a été définitivement tranchée lors de la conférence de Chapel Hill (États-Unis) en 1957[5]. Les contributions de Felix Pirani et Hermann Bondi ont été déterminantes. Pirani montre qu'en présence d'une onde gravitationnelle, un ensemble de masses en chute libre est alors animé d'un véritable mouvement l'une par rapport à l'autre (tel qu'illustré plus haut). Bondi suggère qu'en connectant deux masses aux extrémités d'un piston, on absorbe alors l'énergie de l'onde en la transformant en chaleur ("sticky bead" argument) ce qui démontre que l'onde possède bien une réalité physique. Ce fut le point de départ des premiers développements d'instruments permettant la mise en évidence expérimentale des ondes gravitationnelles.
Sources d'ondes gravitationnelles
Les sources impulsives
Ce sont des sources qui émettent un rayonnement sur une très courte durée. Ce sont des évènements cataclysmiques comme l'effondrement du cœur d'une étoile par exemple. Une des sources les plus intéressantes dans cette famille sont les systèmes binaires d'étoiles à neutrons et/ou trous noirs proches de la coalescence. Les deux objets composant le système orbitent l’un autour de l’autre. Le système perd de l'énergie par rayonnement gravitationnel ce qui cause le rapprochement des deux objets jusqu’à la coalescence. La fréquence orbitale augmente au fur et à mesure que le rayon orbital diminue. Ceci conduit à l'émission d'un signal gravitationnel caractéristique comme illustré ci-contre.
Le fond stochastique
On distingue le fond stochastique d'onde gravitationnelle d’origine astrophysique dû à la superposition des signaux provenant d'un grand nombre de sources irrésolues (qu'il est impossible de détecter séparément) et celui d'origine cosmologique produit lors des premiers instants de l’Univers peu de temps après le Big Bang. L'observation de ce rayonnement nous donnerait des informations importantes sur l'Univers primordial, en particulier sur la période dite d'inflation cosmique [6].
Les sources continues
Si elles possèdent un certain degré de non-axisymmétrie, les étoiles à neutrons émettent une onde gravitationnelle monochromatique à la fréquence double de la fréquence de rotation de l’étoile. L'émission étant permanente constante en fréquence et amplitude, on peut alors "intégrer" le signal pendant plusieurs mois afin de le distinguer du bruit instrumental.
Détection des ondes gravitationnelles
Observation indirecte
L'observation du pulsar binaire PSR B1913+16, découvert en 1974 a permis aux physiciens Russell Hulse et Joseph Taylor de mettre en évidence l'existence des ondes gravitationnelles. Il s'agit d'un système binaire composé de deux étoiles à neutrons. L'une des deux étoiles est un pulsar. L'observation des impulsions radio émises par celle-ci permet d'obtenir l'évolution de la période orbitale du système. Il a été observé que celle-ci se réduisait avec le temps, impliquant que le système perdait de l'énergie. Le rythme de la perte d'énergie est compatible avec l'hypothèse que le système perd son énergie par rayonnement gravitationnel conformément aux prédictions de la relativité générale. Russell Hulse et Joseph Taylor ont été récompensés par le prix Nobel de physique en 1993 pour cette découverte.
Détection directe
Barres résonnantes
Les barres de Weber sont des instruments simples permettant de détecter l'effet d'une onde gravitationnelle. Il s'agit d'une barre rigide de métal isolée des vibrations externes. La distorsion de l'espace causé par une onde gravitationnelle incidente excite la barre à sa fréquence de résonance, perturbation ensuite amplifiée jusqu'à des niveaux détectables.
Ce type de détecteur a été proposé et utilisé initialement par Joseph Weber de l'Université de Maryland. Weber a déclaré à plusieurs reprises avoir observé un excès de coïncidence entre les événements observés par deux barres identiques séparées de 2 km [7], ce qui l'a conduit à déclarer la découverte des ondes gravitationnelles en 1969 [8]. Ce résultat n'a pas été confirmé par les expériences de validation conduites ultérieurement[9].
Le principe du détecteur de Weber a été développé par la suite par plusieurs équipes. La cryogénie a été introduite afin d'atteindre une meilleure sensibilité en atténuant le bruit thermique causé par l'agitation brownienne des atomes composants la barre. On dénombre plusieurs instruments de ce type dans le monde dont certains sont encore en opération : • ALLEGRO (Baton Rouge, États-Unis, aujourd'hui démantelé) • AURIGA (Legnaro/Padoue, Italie) • Explorer (CERN, Suisse) • NAUTILUS (Rome Frascati, Italie)
La géométrie sphérique (plutôt que cylindrique généralement utilisée) a été proposée pour le projet de détecteur miniGrail (Pays-Bas).
Détecteurs interférométriques
La première génération de détecteurs interférométriques d'ondes gravitationnelles comprend six instruments de grandes dimensions. Le projet américain LIGO consiste en trois instruments kilométriques situés à Complexe nucléaire de Hanford WA (ce site accueille deux interféromètres dans la même enceinte) et Livingston LA. Le projet franco-italien Virgo situé à Cascina près de Pise (Italie) possède un instrument de même classe. Le projet germano-britannique GEO localisé à Hanovre (Allemagne) aux dimensions plus modestes (300 mètres) vient compléter cet ensemble. Le projet japonais TAMA de taille similaire à GEO est aujourd'hui démantelé.
Malgré des différences technologiques importantes, tous ces instruments suivent le même principe[10]. Tous captent la distorsion de l'espace-temps qu'exerce une onde gravitationnelle en mesurant avec une grande précision la différence de longueur du chemin optique suivi par deux faisceaux LASER se propageant dans deux directions orthogonales. En pratique on utilise l'interférométrie pour réaliser cette mesure comme indiqué sur la schéma ci-contre. Observer une différence de longueur revient à observer une différence de phase entre les deux faisceaux, et donc une variation de leur figure d'interférence.
Le bruit de mesure (principalement le bruit thermique causé par l'agitation brownienne des atomes constituant les optiques et le bruit de photons dû à la nature quantique de la lumière) peut être réduit pour atteindre la précision de où est l'amplitude de l'onde gravitationnelle et la longueur totale du chemin optique (les bras de l'interféromètre).
Interféromètres spatiaux
Un moyen de s'affranchir du bruit sismique (terrestre) est de réaliser l'expérience de détection dans l'espace. C'est le projet de l'interféromètre LISA, constitué de trois satellites devant orbiter à près de 5 millions de kilomètres les uns des autres.
Références
- Philippe Tourrenc, Relativité et gravitation, Armand Colin (1997).
- Michele Maggiore, Gravitational Waves -- Volume 1: Theory and Experiments, Oxford Univ. Press (2007).
Notes
- A. Einstein 1918 "On gravitational waves", Sitzungsberichte Preußische Akademie der Wissen-schaften, Berlin (Math. Phys.) 154
- Michele Maggiore, Gravitational Waves -- Volume 1: Theory and Experiments, Oxford Univ. Press, 2007
- À titre indicatif, la généralisation en dimension N de ce résultat aboutit à un nombre N (N -3)/ 2 de degrés de liberté pour les ondes gravitationnelles. Les ondes gravitationnelles dans des espaces à dimensions supplémentaires sont utiles dans le cadre de la cosmologie branaire.
- D. Kennefick, Traveling at the Speed of Thought: Einstein and the Quest for Gravitational Waves Princeton University Press (2007)
- P. Saulson, A history of Gravitational Waves, inspired by Josh Goldberg (2012) https://dcc.ligo.org/DocDB/0090/G1200429/004/Gravitational%20Waves%20and%20Josh%20Goldberg.pdf [archive]
- S Kuroyanagi et al., Prospects for determination of thermal history after inflation with future gravitational wave detectors, Phys. Rev. D 84:123513 (2011) http://arxiv.org/abs/1110.4169 [archive]
- J Weber, Gravitational-Wave-Detector Events, Phys. Rev. Lett. 20, 1307–1308 (1968) http://prl.aps.org/abstract/PRL/v20/i23/p1307_1 [archive]
- J Weber Evidence for Discovery of Gravitational Radiation Phys. Rev. Lett. 22, 1320–1324 (1969) http://prl.aps.org/abstract/PRL/v22/i24/p1320_1 [archive]
- H. Billing, P. Kafka, K. Maischberger, F. Meyer and W. Winkler, "Results of the Munich-Frascati gravitational-wave experiment", Lettere Al Nuovo Cimento Volume 12, Number 4, 111-116, 1975. http://www.springerlink.com/content/685794h23h2222x8/ [archive]
- Idée suggérée pour la première fois dans M. E. Gertsenshtein et V. I. Pustovoit, JETP 43, 603 (1962) et dont l'applicabilité a été démontrée par R. Weiss, "Electromagnetically Coupled Broadband Gravitational Antenna", Quarterly Progress Report, Research Laboratory of Electronics, MIT 105: 54 (1972).