la question du contact avec les extraterrestres

 

Exposition "Seuls dans l'univers ?" – Cité des sciences et de l'industrie – Novembre 2006

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Diplomates sans portefeuilles :

la question du contact avec les civilisations

extraterrestres

par Pierre Lagrange

En attendant le jour où nous serons capables d’atteindre les étoiles, il y a

trois façons d’entrer en contact avec les extraterrestres — mais aucune qui

permette de gérer ce contact ! La première consiste à se placer derrière un

radiotélescope et à écouter le ciel. Il faut alors s’armer de patience, il ne se

passe jamais rien. La seconde consiste à enquêter sur les observations de

soucoupes volantes. Cela déclenche de passionnantes controverses mais selon

les scientifiques, l’ufologie (de UFO, Unidentified Flying Object) n’est pas une

« vraie » science. La troisième façon consiste à suivre un « contacté », une

personne qui a eu la chance de rencontrer des extraterrestres et de se voir

confier une mission et un message à diffuser (stop à la bombe, faites la paix,

aimez-vous les uns les autres). C’est tout aussi passionnant mais tout le monde

est d’accord : ce n’est ni de la « vraie » science ni de la « vraie » ufologie.

A priori donc, tout sépare et oppose ces trois stratégies. Pourtant, elles sont moins

éloignées qu’on ne le pense. Pour une première « mauvaise » raison et pour une seconde,

bien plus pertinente malgré le rejet qu’elle suscite chez les scientifiques.

Examinons la première raison : à écouter les experts du programme Seti, le protocole mis

au point par eux ne fait pas de partage. Il s’applique à tout le monde sans distinction de sexe,

de religion, ou de pratique scientifique. Présenté par John Billingham lors de la conférence de

Val-Cenis en 1990, le texte précise bien que « quiconque » pense avoir détecté un tel signal

devra suivre un certain nombre d’étapes, depuis celle de l’expertise jusqu’à la communication

devant les Nations Unies, puisqu’un tel contact ne peut être pris qu’au nom de l’humanité

toute entière. Pourtant il suffit de prendre connaissance des dix points du protocole pour

comprendre que dans l’esprit des rédacteurs de ce document on ne peut prétendre réaliser

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une telle prouesse sans disposer d’un radiotélescope de la taille de ceux de Goldstone ou

d’Arecibo. On a peine à croire que les chasseurs de soucoupes, avec leurs détecteurs

magnétiques de poche et leurs questionnaires d’enquête ronéotés, seront pris au sérieux et

que leurs faits seront analysés selon les étapes prévues par le protocole. Sans parler des

contactés et de leur « religion extraterrestre. » On est même sûr de l’inverse : les gens de

Seti passent une partie de leur temps à affirmer leur différence avec les ufologues et ils ne

prennent pas la peine d’examiner leurs faits. Et raisonnablement, lorsqu’on entend les

discours de certains passionnés d’ovnis sur les secrets qu’on nous cache et le dogmatisme de

la science qui penserait à accuser les scientifiques de fermeture d’esprit. Le protocole, pour

démocratique qu’il se présente, est donc rédigé par rapport à une certaine vision de la

science et de la société qui exclue les non-scientifiques (… et les ET, feront remarquer

certains). Cette volonté de séparer la vraie et la fausse science n’est d’ailleurs pas propre

aux porte parole de Seti ou aux rationalistes. Les ufologues affirment également leur

attachement à la science et se démarquent fermement des histoires de contact. Là aussi face

à l’annonce tapageuse par Raël de la naissance d’un clone, qui pourrait suggérer de faire

confiance à ce genre de gourou spatial ?

Pourtant une fois passé la pratique protocolaire, et nous abordons là une seconde raison

qui laisse présager d’un rapprochement entre science et ufologie, si un message nous

parvient, la suite de l’histoire risque d’être passablement entremêlée. Non seulement parce

que d’autres personnes que les bioastronomes vont réclamer le statut de porte parole, mais

surtout parce que par leur nature même les événements vont entraîner la science à

expérimenter les affres de la marginalité soucoupique.

Comme le Grand Soir n’a encore pas eu lieu, il est bien sûr difficile de décrire les suites

d’un Contact. Mais on peut se pencher sur les descriptions fournies par la science-fiction.

Considérons trois films. Il s’agit de 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968),

Rencontres du 3e type de Steven Spielberg (1977) et Contact de Robert Zemeckis (1997).

Deux au moins comptent parmi les plus grands de l’histoire du 7e art, et le troisième

s’appuie sur un roman écrit par l’un des porte parole de la communauté Seti, Carl Sagan.

Ces films évoquent les prémices, les caractéristiques et les suites d’un contact et illustrent à

la façon dont les différences entre cultures scientifique et populaire s’estompent alors,

comme pour indiquer à quel point nos catégories sociales manquent de pertinence passées

les limites du système solaire. Et ces trois exemples pourraient s’ajouter d’autres grandes

productions de la SF comme Solaris de l’écrivain polonais Stanislaw Lem (adapté à l’écran par

le réalisateur russe Andrei Tarkovski).

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2001 malgré son côté « hard science » fait appel à la culture populaire des

« paléovisites » : des extraterrestres nous ont rendu visite dans le passé et ont laissé des

traces de leur passage. Close Encounters malgré son aspect ufologique met en scène de vrais

scientifiques. Ainsi, dans une scène d’anthologie, au moment fort du Contact derrière la

Tour du Diable dans le Wyoming, on voit les scientifiques détourner leur regard de la scène

historique qui se déroule sous leurs yeux pour se reporter sur les instruments afin de

vérifier qu’ils enregistrent bien, une scène incompréhensible et même absurde pour

quiconque n’est pas sociologue des sciences. Se détourner de la proie pour l’ombre ! Mais il

y a mieux : la fin de 2001 censée nous révéler la nature de ces ET, est un déferlement

d’images incompréhensibles (et il n’est pas rare de voir des spectateurs quitter la salle à ce

moment du film). Spielberg quant à lui renonce à nous montrer l’intérieur de la machine,

sentant qu’il lui est impossible de représenter l’Autre.

Mais c’est surtout l’oeuvre inspirée par Sagan qui tire les conséquences de cette

incompréhensibilité extraterrestre. Ainsi même si Contact tente une représentation, c’est

sans grand espoir et le film illustre surtout que les scientifiques eux-mêmes face à un tel

événement ne seraient plus crus par le reste de la population, selon une ligne d’arguments

qui est celle-là même que l’on oppose habituellement aux ovnis. Après son retour de la

mission, Ellie Arroway, interprétée par Jodie Foster, se retrouve aux prises avec une

commission d’enquête toute droit sortie du Maccarthysme. Apportez-nous les preuves de ce

que vous nous décrivez, oppose l’enquêteur de cette inquisition au « témoin ». Toutes les

preuves ont été effacées et le voyage lui-même semble ne peut pas avoir eu lieu tant le récit

des personnes restées sur Terre diverge de celui d’Ellie Arroway embarquée dans la

machine construite selon les plans envoyés par les ET. Le roman et le film illustrent surtout

le fait que face à un tel événement nous nous retrouverions dans une attitude proche de la

foi. Ainsi malgré son incapacité à évoquer l’Autre, Jodie Foster découvre à sa sortie du

« tribunal savant » une foule anonyme massée sur les marches du Congrès, foule parcourue

par un murmure qui témoigne de la confiance de ceux qui n’ont pourtant rien vu. Comme si

la seule issue après le contact était de faire confiance au contacté, seul porte parole.

Après plusieurs générations d’auteurs de SF et de récits de contacts entre civilisations,

tout ce que trouve à décrire Carl Sagan dans son roman est une situation quasi impossible à

partager, à moins de faire confiance à un témoin. Il rejoint l’ufologie sur deux points : c’est

incroyable et nous n’avons pas les mots pour le décrire ou comme l’écrit Michel Jeury dans

son roman « ufologique » les Yeux géants, « la suite de ce récit ne pourra être écrite avec

des mots humains. » Comme les ufologues, qui étonnent tant par le blocage apparent qu’ils

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font sur la discussion des preuves, il ne sert à rien de spéculer sur l’après contact. Comme

les contactés, les scientifiques impliqués dans le projet ne peuvent que dire que le contact

annonce de profonds changements sur le plan spirituel mais rien de plus. Point tout à fait

remarquable : le scénario scientifique qui a jusqu’ici affirmé sa profonde différence avec la

culture populaire des soucoupes volantes (ce n’est pas de la « vraie » science) se retrouve au

même niveau d’incompréhension une fois ce contact réalisé. Il ne reste plus qu’à inventer la

Solaristique cette science décrite dans le roman de Lem et qui tente d’épuiser les possibilités

en matière de spéculations sur d’autres formes d’intelligences.

Dans tous les cas nous sommes face à une situation dans laquelle l’initiative ne nous

revient pas. Face à une civilisation extraterrestre il n’y a pour l’instant que deux possibilités :

soit elle est sensiblement à notre niveau et nous nous engageons dans un dialogue impossible

à travers les innombrables et infranchissables années lumière. Soit elle transcende notre

niveau et nous n’y pouvons rien.

La situation dans laquelle se retrouvent les scientifiques décrits dans Contact, dans 2001,

dans Close Encounter ou dans Solaris illustre a posteriori la situation actuelle des débats sur

les ovnis et cette étrange incapacité à s’extraire de la discussion des preuves. Cette

discussion est la seule issue possible : une fois le contact réalisé, comme dans le roman de

Sagan, il n’y a plus que la controverse car personne ne peut partager la réalité expérimentée

dans la machine. Même chose dans 2001 où survient une série d’événements proprement

incompréhensibles. Et même chose dans Solaris où la découverte de la planète vivante qui

donne son nom au roman inaugure des générations de controverses entre chercheurs et des

bibliothèques entières dans le seul but de comprendre à quelle forme d’intelligence on a

affaire, sans jamais y parvenir. L’ufologie s’avère, malgré son aspect de culture populaire

antiscientifique et quelle que soit la pertinence finale de sa démarche, comme la seule

expérimentation grandeur nature d’une situation de contact. Autrement dit, si nous étions

vraiment confrontés à des visites d’ET il ne se passerait pas autre chose que la controverse à

laquelle nous assistons depuis l’été 1947 ! En attendant qu’« ils » fassent un pas de plus !

Auquel cas c’est à l’un d’eux que reviendra la tâche d’écrire la suite de cet article sur les

formes de diplomatie entre civilisations galactiques. Si ces mots humains permettent de

seulement approcher le problème dont il est question.

Pierre Lagrange : Chercheur associé au LAHIC (Laboratoire d'Anthropologie et d'Histoire de l'Institution

de la Culture, CNRS). Enseigne la sociologie des controverses scientifiques à l'Ecole des mines. Etudie

notamment les controverses sur les ovnis et la vie extraterrestre. Dernier ouvrage : La guerre des mondes a-telle

eu lieu? (Robert Laffont).



12/06/2013
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