La physique des civilisations extraterrestres

 

La physique des civilisations extraterrestres

Un explorateur artificiel en quête de nouveaux mondes habitables.

par le Pr. Michio Kaku, Cité Universitaire de New York

Comment explorer la Galaxie ? (II)

Les distances entre les étoiles sont si grandes et le nombre de systèmes planétaires hostiles à la vie si nombreux, qu'une civilisation de Type III serait confrontée à la question suivante : quelle est mathématiquement la méthode la plus efficace pour explorer les centaines de milliards d'étoiles qui composent la Galaxie ?

Dans la science-fiction, la recherche de mondes habitables a été immortalisée à la télévision par la série Star Trek mettant en vedette des capitaines héroïques "commandant hardiment des vaisseaux stellaires vers des contrées où personne n'est jamais allé auparavant"...

NdT[1]. On peut également citer la méthode moins orthodoxe des Borg meurtriers appartenant à une civilisation de Type III dont on se souviendra du slogan de la reine mère : "toute résistance est futile"; ils cherchent à "assimiler" les civilisations inférieures de Type II (telle que la Fédération). Enfin les héros de Stargate SG-1, qui sont des personnages à notre image, explorent les planètes répertoriées par les Anciens mais doivent affronter durant leurs aventures le peuple belliqueux des Goa'uld, une civilisation de Type III qui a choisi le "côté obscur de la force". Heureusement ils sont de temps en temps assistés dans leur tâche par la civilisation des Asgard, une ancienne civilisation qui a déjà colonisé plusieurs galaxies.

Cependant une colonisation efficace est loin d'être aussi fascinante : ainsi que nous l'avons expliqué dans le dossier consacré à la colonisation de la Galaxie, il est impossible d'explorer "manuellement" chaque système stellaire à la recherche d'exoplanètes viables; mieux vaut envoyer des flottilles de "sondes de Von Neumann" à travers toute la Galaxie et analyser leurs données à la recherche des mondes les plus propices à la vie.

Une sonde de Von Neumann est un robot conçu pour atteindre les systèmes stellaires éloignés et capable de fabriquer des usines qui reproduiront des copies d'eux-mêmes par milliers. Une lune morte plutôt qu'une planète serait la destination idéale pour des sondes de Von Neumann car elles peuvent plus facilement y débarquer et y décoller, et du fait que ces lunes ne subissent aucune érosion. Ces sondes vivraient en outre des ressources puisées dans la terre, en utilisant des gisements naturels de fer, de nickel, et d'autres minerais pour élaborer les matériaux nécessaires à la construction d'une usine robotisée. Après avoir fabriqué des milliers de copies d'elles-mêmes, les sondes se disperseraient ensuite et reparteraient explorer d'autres systèmes stellaires, et ainsi de suite.

Aspects d'une sonde de Von Neumann, d'une sonde d'exploration et d'un robot miniature. Tous trois sont des systèmes automatiques dotés d'intelligence artificielle. Ils ont besoin d'énergie pour assurer leur mission et transmettre leurs données à leur base. Les deux premiers ont la taille d'un vaisseau spatial mais la nanotechnologie nous permettrait d'en construire d'aussi performants qui tiendraient dans la paume d'une main à l'instar du robot Genghis (à droite) prêt à conquérir le monde. Documents Charles Ofria, Zazzle/Zbuzz1 et MIT/Rodney Brooks.

NdT[1]. Il ne faut pas oublier que si cette technologie peut être utilisée à des fins pacifiques, la série "Stargate SG-1" nous a démontré qu'une civilisation comme les "Replicateurs" pouvaient avoir d'autres intentions. Idem dans le film "Independence Day" où les contrôleurs du NORAD découvrent une colonie extraterrestre en orbite autour de la Terre. Dans les deux cas ces civilisations agissent comme des parasites; elles épuisent les ressources d'une planète puis colonisent un autre monde en détruisant toute sa population comme une colonie de sauterelles envahi un champ de blé.

Semblable à un virus colonisant un corps beaucoup plus grand que lui, au fil du temps le volume d'espace exploré par les trillions de sondes de Von Neumann augmentera dans toutes les directions à une vitesse proche d'une fraction de celle de la lumière. De cette manière, même une galaxie de 100000 années-lumière de diamètre pourrait être complètement explorée en l'espace d'un demi-million d'années.

Deux exterminateurs : un Réplicateur et une colonie d'extraterrestres en train d'envahir la Terre. Tous deux appartiennent à une civilisation de type II doté d'intelligence et de moyens technologiques très en avance sur les nôtres. Mais tous deux colonisent la galaxie en exterminant les autres civilisations. Documents MGM Studios/Stargate SG-1 et 20th Century Fox/Independence Day.

Si les sondes de Von Neumann trouvent uniquement des traces de vie primitive (telle qu'un civilisation instable et encore sauvage de type 0) elles pourraient simplement se mettre en hibernation en attendant que cette civilisation se soit transformée en Type I. Après avoir attendu tranquillement durant des milliers d'années, les sondes pourraient se réactiver lorsque cette civilisation sera devenue suffisamment avancée que pour installer une colonie lunaire par exemple. Le physicien Paul Davies de l'université d'Adelaïde suggère même très sérieusement qu'une sonde de Von Neumann pourrait actuellement reposer sur notre propre Lune, abandonnée sur les lieux par une précédente visite dans notre système effectuée voici des éons.

Si cette idée paraît quelque peu familière à certains lecteurs, c'est parce qu'elle fut à la base du film "2001, l'Odysée de l'espace". A l'origine, Stanley Kubrick voulait introduire le film avec une série de présentations scientifiques expliquant que des sondes de Von Neumann seraient la méthode la plus efficace pour explorer l'univers. Malheureusement à la dernière minute, Kubrick coupa cette séquence d'ouverture du film et le monolithe est devenu une entité presque mystique, isolée de son contexte.

Nouveaux développements

Depuis le classement des civilisations réalisé par Kardashev, beaucoup de scientifiques ont affiné et prolongé son analyse originale en prenant en considération les développements récents en nanotechnologie, en biotechnologie, en physique quantique, etc.

La nanotechnologie

Le nanotechnologie par exemple peut faciliter concourir au développement des sondes de Von Neumann. Ainsi que le disait le physicien américain Richard Feynman dans son discours intitulé "There is Plenty of Room at the Bottom" (il y a plein d'espace au fond) présenté à la réunion annuelle de l'American Physical Society au Caltech en 1959, il n'y a rien dans les lois de la physique qui empêche de fabriquer des armées de machines de taille moléculaire ou de sauvegarder l'encyclopédie Universalis sur une tête d'épingle !

Actuellement des scientifiques travaillant chez IBM ou au MIT ont déjà fabriqué des curiosités subatomiques telles que des caractères typographiques constitués de quelques atomes alignés, une abaque avec des "Buckyballs" (C60) ou une guitare atomique avec des cordes longues d'environ 100 atomes. Même la NASA envisage aujourd'hui d'explorer Mars avec des nanosenseurs.

A gauche anatomie d'une nanosonde médicale. La largeur de l'image correspond au diamètre d'un cheveu ! Jusqu'à 10 trillions de nanosondes d'une taille 200 fois inférieure à celle d'un cheveux pourraient être injectées en une fois. Au centre des nanotubes imbriqués. A droite un piston nanohydraulique fabriqué à partir d'un nanotube de carbone (en bleu), d'atomes d'hélium (en vert) et d'une buckyball (une molécule de C60, en gris). Documents Nanotech Now, CERCA/Alain Rochefort et ORNL.

NdT[1]. Dans un autre domaine plus proche de nous, aujourd'hui les médecins avant-gardistes utilisent des nanosondes pas plus grandes qu'une gélule et bientôt de la taille d'une tête d'épingle pour explorer le corps humain et pénétrer à l'intérieur des cellules, la sonde, protégée par une coquille en diamant étant équipée de moyens radio, vidéo et d'éclairage autonomes ainsi que de bras manipulateurs ou de détecteurs. Le pas à franchir pour les envoyer dans l'espace est à notre portée.

Paul Davies pense qu'une civilisation épanouie de l'âge spatial pourrait utiliser la nanotechnologie pour fabriquer des sondes miniatures pas plus grande que la paume d'une main pour exploration la Galaxie. Davies dit en suspend : "les petites sondes dont je parle seraient si discrètes qu'il ne serait pas surprenant d'en découvrir une par hasard. Mais ce n'est pas la sorte de chose sur laquelle vous allez trébucher dans votre arrière-cour. Si c'est la manière dont la technologie se développe, à savoir vers des appareils plus petits, plus rapides et meilleur marché, si d'autres civilisations ont emprunté cette voie, dans ce cas il est possible que nous soyons entourés d'appareils de surveillance".

Le développement de la biotechnologie a également ouvert des possibilités entièrement nouvelles, à peine imaginables voici une génération.  

Ces sondes biomécaniques pourraient agir comme des organismes vivants, reproduisant leur patrimoine génétique, mutant et évoluant à chaque étape de leur reproduction pour améliorer leurs capacités. Elles pourraient même être dotées d'intelligence artificielle pour accélérer leur recherche.

Le radiotélescope d'Arecibo. Dans l'encart, l'astronome Pedro Torres aux commandes de l'une des nombreuses consoles installées dans la salle de contrôle. Documents NAIC/S.Shostak.

SETI : la technologie distribué

Ainsi la théorie de l'information modifie l'analyse originale de Kardashev. Dans les premiers temps, les programmes SETI analysaient seulement quelques fréquences radios à la recherche de messages potentiels et d'émissions de télévision envoyées par une civilisation de Type 0 mais peut-être pas par une civilisation avançée.

En raison de l'énorme charge statique que l'on trouve dans l'espace profond, émettre un signal sur une seule fréquence est une source d'erreur. 

Au lieu de mettre tous les oeufs dans le même panier, un système plus efficace est de diviser le message en bribes et de le distribuer sur un grand nombre de fréquences (par exemple par l'intermédiaire d'une transformée de Fourier) et ensuite de recomposer le signal à l'arrivée.

De cette façon, même si certaines fréquences sont perturbées par des charges statiques, suffisamment d'information parviendront à destination où elles pourront être réassemblées par l'intermédiaire de routines de correction d'erreurs.

Grâce à la plate-forme SETI d'Arecibo, cet instrument est devenu notre oreille la plus fine à l'écoute des éventuelles civilisations extraterrestres. 

Cependant, n'importe quelle civilisation de Type 0 écoutant une seule bande de fréquences n'entendrait que des sons inintelligibles. En d'autres termes, notre galaxie pourrait être inondée par un flot de messages émis par des civilisations de Type II et III mais nos radiotélescopes de type 0 n'entendraient que des baraguinages. 

C'est l'une des raisons pour lesquelles les scientifiques chargés du projet SETI@home et autre MEGASETI ont choisi d'écouter simultanément des millions de fréquences pour éviter ce genre d'erreur.

L'énergie de Planck

Enfin, il existe également la possibilité qu'une civilisation de Type II ou III soit capable de contrôler la mytique énergie de Planck (1019 MeV). C'est une énergie un quadrillion de fois plus puissance que celle accessible dans nos collisionneurs de particules. Cette énergie, aussi fantastique qu'elle paraisse, est, par définition, accessible à une civilisation de Type II ou III.

L'énergie de Planck se manifeste seulement au centre des trous noirs et à l'instant du Big Bang. Mais grâce aux avancées récentes faites en gravité quantique et dans la théorie des supercordes, il y a un renouveau d'intérêt parmi les physiciens pour ces niveaux d'énergies car ils sont si colossaux que les effets quantiques déchirent littéralement le tissu de l'espace-temps. 

Bien qu'il soit nullement certain que la physique quantique "autorise" la création de trous de ver stables et macroscopiques, ses lois ne l'interdisent pas. Elles entrevoient même la possibilité qu'une civilisation suffisamment avançée soit capable de se déplacer à travers des trous de ver comme Alice au Pays des merveilles. 

Un trou de ver stable et macroscopique à deux pas de chez soi ? Cela ne se rencontre hélas que dans la science-fiction.

Et si ces civilisations sont à même de contrôler des trous de vers stables, atteindre ensuite une impulsion spécifique d'un million de secondes n'est plus un problème (l'antimatière le permet aisément). Cela leur permettrait facilement de prendre des raccourcis à travers la galaxie. Ceci réduirait considérablement la transition entre la civilisation de Type II et de Type III.

En complément, la capacité d'ouvrir des trous de vers dans l'espace-temps peut devenir très pratique un jour ou l'autre. Les astronomes, analysant la lumière des supernovae lointaines, ont conclu récemment que l'univers était en train d'accélérer plutôt que de ralentir. Si cela est confirmé, il existe peut-être une quantité d'anti-gravité (peut-être la constante cosmologique d'Einstein) qui contrecarre la force de gravité engendrée par l'ensemble des galaxies lointaines. Mais ceci signifie également que l'univers pourrait continuer à grandir jusqu'au Grand frisson ultime où la température approchera le zéro absolu. 

Plusieurs études ont récemment été présentées à ce sujet, expliquant à quoi ressemblerait un univers parvenu à ce stade. Ainsi que nous l'avons expliqué en cosmologie à propos de la théorie du Big Bang ainsi qu'en bioastronomie à propos de la survie près des trous noirs, l'image d'un univers moribond est assez pitoyable : n'importe quelle civilisation devant survivre dans de telles conditions sera désespérément blottie à côté des braises mortelles des étoiles neutrons et des trous noirs. Dit brutalement, toute la vie intelligente devra mourir quand l'univers mourra.

Contemplant la mort du Soleil, le philosophe Bertrand Russel a peut-être écrit le paragraphe le plus désespérant de la littérature anglaise : "... tous les travaux des temps, toute la dévotion, toute l'inspiration, tout l'éclat du génie humain sont voués à l'extinction dans la vaste mort du système solaire, et le temple entier de l'accomplissement de l'Homme doit inévitablement être enterré sous les débris d'un univers en ruines... ".

Aujourd'hui nous nous rendons compte que des fusées suffisamment puissantes peuvent nous épargner de la mort de notre Soleil qui se produira dans 5 milliards d'années, quand les océans bouillonneront et les montagnes fondront. Mais comment échapper à la mort de l'univers lui-même ?

NdT[1]. A moins de faire appel à l'univers délirant de Douglas Adams, auteur de la trilogie du "Guide galactique" qui fut portée à l'écran en 2005 qui put se permettre d'aller dans "Le dernier restaurant avant la fin du monde" où il échappa de justesse au Big Crunch, il est difficile de trouver une échappatoire plus réaliste. Sauf peut-être en faisant appel aux dernières spéculations les plus débridées de la cosmologie quantique comme les trous de vers ou les bébés-univers...

L'astronome John Barrows de l'Université du Sussex confirme cette idée quand il écrit : "Supposons que nous prolongions la classification [de Kardashev] vers le haut. Les membres de ces civilisations hypothétiques de Type IV, V, VI, ... et ainsi de suite, seraient capables de manipuler les structures cosmiques à une échelle de plus en plus grande, comprenant des groupes de galaxies, des amas et des superamas de galaxies". Les civilisations ayant dépassé le Type III pourraient disposer de suffisamment d'énergie pour échapper à notre univers sur le point de mourir par l'intermédiaire des trous de vers.

Enfin, le physicien Alan Guth du MIT, co-inventeur de la théorie de l'univers inflationnaire avec Andrei Linde a même calculé l'énergie nécessaire pour créer un bébé-univers en laboratoire : il faut une éprouvette suffisamment grande et résistante pour supporter une température de 1000 trillions de degrés, ce qui est à la portée de ces hypothétiques civilisations.

Naturellement, jusqu'à ce que quelqu'un entre réellement en contact avec une civilisation avançée, toute ceci n'est qu'une spéculation tempérée par les lois de la physique, rien de plus qu'un guide pouvant nous aider dans notre recherche d'intelligence extraterrestre. Mais un jour peut-être, certains d'entre nous regarderont l'encyclopédie contenant les coordonnées des centaines de mondes ressemblant à la Terre découverts dans notre secteur de la Galaxie. Alors nous nous demanderons, comme le fit Sagan, à quoi pourrait ressembler une civilisation qui serait des millions d'années en avance sur la nôtre...

Je remercie le Pr Michio Kaku de m'avoir permis de traduire et de publier son article.

Pour plus d'information

Le symposium d'ufologie 2002 (sur ce site, à propos de la position de certains scientifiques)

Le site web de Michio Kaku (en anglais)

Bio-Nano-Machines for Space Applications, USRA (PDF)

Future Human Evolution



26/10/2013
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