Stanley Kubrick est souvent désigné comme le véritable réalisateur du film de l’alunissage états-unien de 1969. De farouches détracteurs de l’Histoire officielle auscultent images et vidéos des missions de la NASA, en quête d’indices démontrant la supercherie. Cherchent-ils au bon endroit ? Dans un documentaire troublant, Jay Weidner propose une extension fascinante à la théorie du complot : The Shining est un message codé de Kubrick pour révéler au public son implication dans le canular lunaire.
A quelques secondes du Nouvel An, nous tirions notre révérence à 2011 en saluant une dernière fois la moisson de théories conspirationnistes récoltées au cours des 365 jours écoulés. Alors que notre « année du complot » s’achevait en beauté, nous ne faisions qu’aborder l’une des thèses les plus dérangeantes ressuscitées quelques mois auparavant : la participation de Stanley Kubrick à l’arnaque de l’alunissage américain.
A la suite de la ribambelle d’enquêtes et de contre-enquêtes consacrées au sujet, que pouvait-il bien y avoir de neuf pour relancer l’intérêt des sceptiques envers une théorie du complot moribonde ? Rien de nouveau sous la lune, justement : tous les éléments à réagencer afin d’accéder à la vérité cachée étaient déjà disponibles, faciles à appréhender, aisément accessibles. Il suffisait d’avoir des yeux pour voir.
Toutes les preuves sont présentées par Jay Weidner dans le premier épisode de sa série documentaire Kubrick’s Odyssey – Secrets Hidden in the films of Stanley Kubrick, que nous vous encourageons vivement à vous procurer (on n’a pas dit que vous étiez obligés de l’acheter, hein, on vous conseille juste de le visionner…). Car le film à lui seul offre une expérience incroyable : si vous ne savez pas grand-chose des idées de son auteur, et que vous avez ne serait-ce que de vagues souvenirs de Shining, nous vous promettons de sacrées surprises. Certaines scènes vous laisseront les bras ballants. Weidner plonge dans les détails, pointe des éléments singuliers, produit des interprétations désarmantes, pour finalement proposer un niveau de lecture proprement déconcertant : on avait tout sous le nez, on avait tout loupé, que c’en est presque terrifiant – peut-être plus que Shining lui-même !
Allez-y, courez donc vous repaître de ces images, et revenez nous lire quand vous serez rassasié, et tout désemparé après votre douche froide.
Si c’est fait, ou que vous n’êtes pas prêt à consacrer votre temps de cerveau disponible à un documentaire non exempt de défauts (d’accord, il y a quelques erreurs de montage), mais néanmoins stupéfiant, une tentative d’analyse de la thèse présentée vous attend ci-dessous. Si vous avez zappé le film, tant pis (par pitié, lisez au moins cette critique) : nous risquons de grandement déflorer son contenu !
1. Un auteur adepte des courants alternatifs
Sur internet, la première trace qu’on puisse retrouver de l’analyse de Shining par Weidner semble remonter à un article publié en juillet 2009, soit à quelques jours des 40 ans de l’alunissage tant contesté. Le texte, clair et bien illustré, reste la meilleure version écrite de la thèse de Weidner (une lecture indispensable pour les quelques irréductibles décidément opposés au visionnage du documentaire !).
La théorie connaîtra son heure de gloire lorsqu’un article de la rubrique Espace du site Discovery News la décrira comme « étrangement fascinante » en janvier 2010 (bien que l’auteur dudit billet ne fasse pas mystère de son scepticisme). Depuis, Weidner ne se prive pas de citer cette référence à chaque fois qu’il cherche à vendre sa vidéo.
Car il se décidera finalement à produire en 2011 un documentaire reprenant point par point chacune de ses idées ; c’est ce film de moins de 70 minutes, Kubrick’s Odyssey – Part One : Kubrick and Apollo, dont nous souhaitons traiter ici. A noter qu’il s’agit seulement d’une « Partie Un », puisque que son auteur entend produire l’ « Odyssée de Kubrick » comme une trilogie, dans laquelle chaque épisode se focalisera sur l’un des grands secrets que le cinéaste génial aurait dissimulé dans ses chefs-d’œuvre (nos soupçons sur les révélations des épisodes Deux et Trois en fin d’article).
Mais qui est donc ce Jay Weidner ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, aucune page Wikipedia ne semble lui être consacrée (absence ou suppression volontaire ?). Son existence sur la Toile est pourtant avérée ; elle se distingue par :
- un site kitschissime, à mi-chemin entre la rêverie raëlienne et l’hallucination New age pour ex-candidate aux élections présidentielles : polices de caractères orientalisantes, fond d’écran étoilé et couleurs criardes mettent en valeur des articles fouillés, mais surchargés de liens vers des contenus commerciaux (le marketing agressif d’une aussi folle quantité de livres et de films – à télécharger contre menue monnaie – n’est pas forcément pour nous rassurer sur les motivations du maître des lieux…)
- des entretiens interminables à l’antenne de radios alternatives, des plus spiritualistes aux plus conspirationnistes (Veritas, Red Ice Radio…)
Nous nous contenterons donc d’une biographie officielle, telle qu’affichée sur son site. L’attrait de Jay pour la radio se comprend mieux lorsqu’on découvre son passé d’animateur et de directeur des affaires publiques de KCMU-FM à Seattle. A cette époque, il présente une émission malicieusement intitulée « Mind Over Matters » (fin jeu de mots détournant l’expression « l’esprit sur la matière » en « l’esprit sur les affaires »). Il s’oriente ensuite vers les recherches sur les théories scientifiques et historiques alternatives : du mayanisme à sa théorie des Archons, il nous régalera de son regard décalé sur le monde.
Sauf que, là encore, Weidner ne peut s’empêcher de nous survendre de la référence et de la petite phrase pour dorer son image. Ainsi ne manque-t-il pas d’insister sur :
- sa participation au film The Lost Book of Nostradamus produit par History Channel
- la (malheureuse…) description d’ « erudite conspiracy hunter » dont il se voit qualifier dans un article de Wired sur le mystère des Georgia Guidestones
Auréolé de sérieux et de professionnalisme, Jay peut se présenter comme un écrivain et un cinéaste renommé. Il participe à de nombreuses conférences abordant les sujets les plus originaux. En fin de compte, sa passion pour le mysticisme, l’occulte et les théories alternatives semble faire de sa société de production Sacred Mysteries une entreprise qui tourne joyeusement.
2. Le canular lunaire : il ne faut pas croire ce qu’on voit à la télé
« See, it’s OK. He saw it on the television. »
Jack Torrance, The Shining
Le premier épisode de Kubrick’s Odyssey se divise en deux parties. La première moitié du film remet au goût du jour la thèse de la réalisation par Kubrick des vidéos de l’alunissage de 1969 (lourdement attaquée, par exemple, sur ce site de référence). A en croire Weidner :
- Le Pentagone a choisi Kubrick parce que sa reconstitution fidèle d’un avion B-52 dans son Dr Folamour les a impressionnés
- Stanley est vraisemblablement contacté fin 1963-début 1964 pour se voir proposer « une offre qu’il ne pourra pas refuser » (dans le sens ou son refus pourrait entraîner sa disparition…) : en échange d’un budget illimité pour son 2001, l’Odyssée de l’espace et de la liberté totale de tourner ce qu’il veut à l’avenir, il doit réaliser un film mettant en scène les premiers pas de l’homme sur la lune
- Stanley accepte ; pour les 5 années à venir, il travaillera donc sur les deux films en parallèle, la fiction et le « direct », s’activant frénétiquement dans ses studios anglais, où il recevra des visites régulières de Frederick Ordway, consultant pour la NASA
- En 1969, c’est la version de l’alunissage filmée par Kubrick qui sera diffusée sur les chaînes télévisées du monde (plus ou moins) libre
Il importe de préciser un point très important, qu’on ne répète pas assez : le fait que l’homme ait posé ou non le pied sur la lune est indépendant du fait que les images retransmises en 1969 aient été tournées sur Terre ! Les théories conspirationnistes ne rejettent pas forcément la thèse d’un alunissage américain ; en revanche, elles contestent l’idée que les vidéos disponibles nous offrent une représentation fidèle de ce qui s’est passé.
Ainsi Weidner soutient-il que des Américains sont bel et bien allés sur la lune (tant mieux, puisqu’ils en auraient ramené des pierres, et laissé sur place du matériel observable depuis la Terre), mais que ce ne sont pas les véritables images de l’alunissage qui nous ont été montrées : ce sont celles tournées par Kubrick (pourquoi ? Parce que la technologie qui nous a conduit sur la lune n’est pas forcément d’invention humaine, et qu’il ne fallait pas que l’URSS l’apprenne, et/ou parce que la surface de l’astre des nuits est parsemée de constructions gigantesques que l’humanité n’est pas prête à voir, et/ou parce que notre satellite abrite une civilisation cachée, voire n’est rien d’autre qu’un vaisseau spatial géant placé en orbite à deux pas de la planète bleue, etc.).
La grande innovation de la thèse de Weidner consiste à décrire le procédé technique employé par Kubrick pour filmer les séquences lunaires : il s’agirait de « front screen projection ». Ceux qui connaissent le sujet, ou qui auront vu l’exposition itinérante sur Kubrick présentée à la Cinémathèque française l’année dernière, se souviendront que la projection frontale est une méthode largement employée pour 2001, par laquelle le metteur en scène peut donner l’illusion de paysages grandioses sans avoir à tourner en extérieur (ou plutôt, en ayant déjà mis en boîte ces scènes à l’avance).
La projection frontale repose sur l’utilisation d’un miroir semi-réfléchissant : la caméra filme au travers de ce miroir une scène dont l’arrière-plan est lui-même une image projetée (par l’avant) à travers le miroir. En comparaison de la rétro-projection, elle produit des images plus nettes et plus saturées, nous offrant ainsi les arrière-plans grandioses qui composent la séquence d’introduction de 2001 (quand des hominidés surexcités inventent l’ancêtre du marteau autour d’un point d’eau). Inconvénients :
- pour disposer d’un large panorama, il faut créer un écran géant en collant côte à côte toute une série de plaques tapissées de petites billes réfléchissantes fragiles
- le décor doit être configuré de sorte qu’il couvre la ligne d’appui de l’écran sur le sol
Weidner prétend que cette même technique a été utilisée pour le tournage du film d’Apollo 11. Il en veut justement pour preuve :
- les contours rectangulaires des plaques collées ensemble, trame qui apparaît en filigrane sur les photos de la mission, après qu’on fait subir aux images un traitement numérique subtil à base d’augmentation du gamma et du contraste
- les diffractions produites par des billes désaxées ou brisées (quelques rares segments d’arc-en-ciel apparaissent à l’occasion sur les photos)
- la ligne d’appui de l’écran au sol : sur plusieurs photos, la texture de la surface lunaire semble changer du tout au tout par-delà une certaine ligne, l’image devenant soudainement plus lisse (jeu amusant : allez consulter les photos officielles de la NASA, et vous pourrez vous-même essayer de tracer la ligne d’appui de l’écran ! Attention, c’est pas toujours aussi facile que sur les exemples de Weidner…)
D’autres indices moins convaincants (si tant est que les précédents vous convainquent) : une fois accélérées, les images des astronautes sautillant dans la poussière lunaire ressembleraient à ce qu’on peut décemment observer sur Terre, 2001 aurait servi à planter dans la tête des spectateurs la fausse idée que les mouvements en impesanteur sont plus lents…
Nous ne souhaitons par nous appesantir sur ces thèses, amplement discutées ailleurs. Tout juste soulignerons-nous deux points :
- Il ne faut jamais écarter la possibilité de coïncidences. Par exemple, Arthur C. Clarke, auteur des nouvelles ayant inspiré 2001 (et d’ailleurs co-auteur du scénario), s’est toujours défendu d’avoir choisi le nom du célèbre ordinateur de bord du vaisseau Discovery One, HAL, comme une retranscription du sigle IBM dans laquelle chaque lettre aurait subi un décalage d’un rang (I changé en H, B en A, et M en L). Pour lui, la corrélation n’est qu’un coup de (pas de) chance…
- Curieusement, Weidner ne cite pas les éléments symboliques troublants sur lesquels repose le scénario même de 2001. Rappelons par exemple que l’astronaute appelé sur la lune au début du film y intervient précisément dans le cadre d’une mission de désinformation : il est trop tôt pour que la découverte sur la surface lunaire d’un monolithe, vestige d’une civilisation ancienne, soit révélée à l’humanité – comment en effet saurait-elle accueillir la nouvelle ?
3. Let the Moon Shining
« Well, you know, Doc, when something happens, you can leave a trace of itself behind. Say like, if someone burns toast. Well, maybe things that happen leave other kinds of traces behind. Not things that anyone can notice, but things that people who « shine » can see. Just like they can see things that haven’t happened yet. Well, sometimes they can see things that happened a long time ago. I think a lot of things happened right here in this particular hotel over the years. And not all of ‘em was good. »
Dick Halloran, The Shining
Il est d’autant plus étonnant que Weidner néglige les métaphores du scénario de 2001 que son analyse de Shining, elle, se nourrit principalement d’interprétations allégoriques !
Le seul et unique « film d’horreur » de Kubrick, adaptation d’un roman de Stephen King, a donné lieu à de nombreuses interprétations. Chaque élément de détail a été disséqué, de l’architecture de l’hôtel labyrinthique (quitte à l’utiliser pour une surprenante adaptation du jeu Duke Nukem 3D !) à la multitude des symboles, en passant par la référence aux Indiens d’Amérique. Au rayon conspirationniste, de drôles d’idées : la logique derrière la durée exacte de quelques séquences maîtresses (!), ou d’invraisemblables traces illuminati (prenez garde, vidéo naze)…
On pourrait mettre la créativité et l’imagination dont font preuve les fans de Kubrick au crédit de ses qualités artistiques. L’art véritable, infiniment plastique, s’accommoderait des analyses les plus osées, puisque chacun y projetterait la beauté qu’il a envie d’y percevoir. Evidemment, l’image du cinéaste y est pour beaucoup. Sa réputation de réalisateur méticuleux ne laissant rien au hasard incite à la multiplication des niveaux de lecture. En effet, le metteur en scène contrôle l’environnement dans lequel ses acteurs évoluent. Chaque mouvement, chaque mot, chaque objet placé dans le champ d’une des caméras peut témoigner d’une intention, car le réalisateur peut théoriquement y avoir consacré un temps de réflexion. Dès lors, on sera tenté de chercher une signification au détail le plus infime…
Pour Jay Weidner, The Shining a été conçu par Kubrick comme un message secret à décoder. Le film ne serait pas la retranscription cinématographique d’une suite de péripéties pensées par Stephen King : il nous raconterait l’histoire du pacte signé par Stanley avec les puissances dirigeantes des Etats-Unis pour orchestrer la supercherie d’Apollo 11, ainsi que les inévitables désillusions et les conséquences terribles découlant d’une décision irrévocable. Le long-métrage regorgerait de preuves soutenant l’analyse. En particulier, les différences avec le livre de King prendraient sens à l’aune de l’extraordinaire théorie.
Sans souci d’exhaustivité, voici les principales idées exposées par Weidner :
- Les personnages de Jack (l’écrivain) et Danny (son fils) représentent les deux facettes de Stanley Kubrick : d’un côté, Jack, le pragmatique, prêt à faire des sacrifices pour réussir à percer grâce à son art ; de l’autre, Danny, l’intuitif, le véritable artiste, qui voit plus loin que les autres et ne sait pas se taire
- La responsabilité de Jack de s’occuper de l’hôtel Overlook (construit sur un cimetière indien) au cours d’un hiver rigoureux symbolise l’accord passé par Kubrick pour protéger les Etats-Unis (nés du massacre d’Indiens…) pendant la Guerre froide (les différentes images d’ours apparaissant dans le film renvoient à l’URSS)
- Jack accepte la transaction non seulement pour pouvoir s’adonner à son art sans contrainte, mais aussi parce qu’il espère intégrer les rangs de l’élite, la société des grands de ce monde (tout comme son prédécesseur, Mr. Grady, dont on découvrira bientôt que, malgré les sacrifices consentis, il reste le serviteur des puissants)
- La chambre 237 (soit, à peu de choses près, la distance moyenne, en milliers de miles, entre la Terre et la lune), dont il nous est dit qu’elle n’ « existe pas », illustre le mensonge de la mission Apollo 11 (les sœurs jumelles fantômes, assassinées dans les couloirs de l’hôtel, sont l’image du programme Gemini – les Gémeaux – abandonné par la NASA au profit d’Apollo !)
- Jack travaille précisément sur ce projet Apollo : le texte qu’il tape indéfiniment sur sa machine à écrire n’est pas à lire « All work and no play make Jack a dull boy » (« trop de travail et pas de plaisir font de Jack un triste sire ») mais, en prenant en compte la police de caractères utilisée, « A11 (Apollo 11) and no play make Jack a dull boy »
Nous n’avons pas lu l’ouvrage du maître de l’horreur. C’est une erreur, nous en convenons humblement. Une faute que nous devrons bien réparer un jour. Mais c’est aussi une raison supplémentaire de lancer cet appel à nos lecteurs : internaute, si le sujet t’intéresse, mêle-toi à nous pour démêler le plausible du grotesque dans cette théorie de Weidner !
Nous avons commencé à recenser dans un Google Doc l’ensemble des arguments développés dans Kubrick’s Odyssey. Cette feuille de calcul, librement accessible, nous vous la proposons comme base de travail collaborative pour mener une étude plus approfondie. Pour prolonger notre étude, vous pourrez y compléter :
- les différentes composantes de la thèse de Weidner
- les « preuves » apportées : ce que Weidner observe, et comment il l’interprète (comment il passe du constat de corrélation à l’hypothèse de causalité)
- le degré de pertinence de ses observations (voyez-vous la même chose que lui ?)
- les vérifications que nous pourrions effectuer, les questions que nous pourrions poser à « ceux qui savent »
- à supposer que nous donnions raison à Weidner sur ses observations, les autres interprétations possibles (si l’on voit bien comme lui, comment l’expliquer autrement ?)
Document difficile à consulter sous cette forme : venez directement participer ICI
Notre objectif évident est de déterminer comment l’on pourrait vérifier la thèse de Weidner, si l’on s’en donnait les moyens. Nous insistons sur le point n°4 (colonne F), incitation à user d’une arme que les théoriciens du complot n’emploient pas assez : le questionnement. Souvent, ils oublient en effet qu’ils peuvent poser des questions, au lieu de rester cloîtrés derrière leur ordinateur (comme nous).
Ils peuvent interroger en premier lieu ceux qui seraient a priori censés savoir, ou détenir des clés pour comprendre (s’ils ne le font pas, leur démarche manque de rigueur, et nous pouvons alors douter de leur objectif affiché de faire émerger la vérité…). Par exemple, dans le cas présent, tous ceux qui ont travaillé avec Kubrick, les membres de sa famille, voire Stephen King lui-même, etc. Ou ceux qui se disent « experts ». Spécialistes de Kubrick, que pensez-vous de ces analyses ?
4. Sur quelle planète vivait Kubrick ?
« Who do you think those people were? Those were not just some ordinary people. If I told you their names – I’m not going to tell you their names – but if I did, I don’t think you’d sleep so well »
Victor Ziegler (Sydney Pollack) à Bill Harford (Tom Cruise), Eyes Wide Shut
Afin de clore le sujet en beauté, et d’enfoncer définitivement le clou (on l’a vu la fois dernière, hein, « to the man with a hammer… »), terminons par quelques mots sur l’aura conspirationniste dans laquelle baigne l’image de Kubrick auprès des théoriciens du complot. L’honnêteté nous force en effet à reconnaître que les films du réalisateur ont fréquemment abordé des thèmes chers aux adeptes de la théorie illuminati (c’est à se demander si ce ne sont pas ses films qui ont eux-mêmes inspiré la mythologie illuminati sur laquelle se fondent les conspirationnistes !) :
- l’ésotérisme : Jay Weidner s’était déjà fait remarquer pour son article analysant 2001, l’Odyssée de l’espace sous la forme d’une allégorie alchimique (cf. les thèmes de l’initiation, du développement de la connaissance, du passage à différents niveaux de conscience, de la renaissance de l’homme en tant que Fils des étoiles…) ; la thèse semble depuis avoir été adoptée par des cinéphiles qu’on ne soupçonnera pas nécessairement de conspirationnite aiguë
- l’élite et la domination mondiale (si possible après une violente extermination mondiale) : à la fin du Dr. Folamour, à l’aube d’une guerre atomique planétaire, les décideurs états-uniens débattent de leurs possibilités de survie, enfermés dans des bunkers auprès des femmes les plus appétissantes pour relancer des lignées humaines pures
- les sociétés secrètes : la mémorable scène de rituel masqué et d’orgie sexuelle d’Eyes Wide Shut serait une représentation fidèle des cérémonies auxquelles s’adonne l’élite
- le projet MK-ULTRA et la programmation Monarque : le personnage principal d’Orange mécanique se voit administrer un traitement « de choc » pour guérir de son addiction au sexe et à l’ultra-violence ; au programme : torture, sévices et Beethoven
- prostitution, pornographie et pédophilie : de Lolita à Eyes Wide Shut, Kubrick n’a pas hésité à présenter la femme comme un objet sexuel, et ce même lorsqu’elle n’est encore qu’une petite fille… Encore plus dérangeant : le metteur en scène avait signé la première version du scénario d’A.I. Intelligence artificielle, finalement réalisé par son ami Steven Spielberg. S’interrogeant sur les enjeux cachés de cette version modernisée de l’histoire de Pinocchio, Jay Weidner se demande quelle sorte de mère pourrait décemment vouloir d’un enfant robot, qui jamais ne grandira, ni ne vieillira. Aux yeux de Weidner, tout s’éclaire une fois que l’on comprend la nature de l’autre robot héros du film : un prostitué mâle, créé pour assouvir les désirs sexuels de ses clients… (Finalement, il avait peut-être pas tort, Loki, l’autre fois, avec sa remarque nauséabonde sur Gepetto, le vieil homme seul qui se fabrique un pantin et le dote d’un ferme nez de bois s’allongeant à la demande !)
Avouez que l’exposition Kubrick qui a fait la joie de la Cinémathèque française l’été dernier ne s’est pas attardée sur ces aspects de l’œuvre du grand cinéaste mégalo, n’est-ce pas ?
Scène « digitalement » censurée dans la version US ; profitons-en, hé hé hé
Les épisodes suivants de Kubrick’s Odyssey devraient donc se pencher, entre autres, sur le trouble Eyes Wide Shut (EWS), et ses révélations concernant le culte de Saturne, le dieu qui mange ses enfants. Ou comment l’élite tirerait les ficelles, en coulisse, sur fond d’occulte et de rituels sanglants. Saviez-vous que 2001 était initialement censé parler d’une mission pour Saturne, et non pour Jupiter ? Kubrick renonça finalement à cette idée, officiellement parce que son équipe technique n’arrivait pas à concevoir d’effets spéciaux qui reproduisent de manière convaincante les anneaux entourant la planète. Sauf que, bien sûr, Weidner pense plutôt que Kubrick s’est vu intimer l’ordre de ne pas jouer si ouvertement avec les thèmes qu’affectionne l’élite…
Au fait, savez-vous comment Stanley est mort ? D’une crise cardiaque (toujours officiellement), quelques jours à peine après avoir dévoilé le premier montage d’EWS à ses producteurs. Weidner prétend que, furieux, ils auraient demandé au cinéaste de retirer plusieurs scènes, ce qu’il aurait refusé. Bien mal lui en aura pris : une crise cardiaque « bienvenue » lui ôte la vie le 7 mars 1999. Un peu à la façon dont un autre « Stanley » s’éteint mystérieusement dans le film Des Hommes d’influence, après qu’il prend la décision de révéler au public la manipulation cinématographique à laquelle il a participé pour le compte du président états-unien (note : ce film est sorti dans les salles américaines en décembre 1997, soit plus d’un an avant le décès de Kubrick).
Que pouvaient montrer de si choquant les scènes d’EWS finalement coupées ? Accrochez-vous : la programmation Monarque du personnage joué par Nicole Kidman (probablement par ce bel Hongrois avec lequel elle danse au début du film !), puis son utilisation comme esclave sexuelle dans le cadre de la cérémonie rituelle de l’élite (oui oui, elle se serait donc retrouvée à cette orgie avec son mari)… Mais bon, on peut essayer de le vérifier, tout ça : si les scènes ont été réalisées, il doit bien y avoir un scénario original qui traîne, ou même une copie des séquences tournées ? Comment une vidéo avec une Nicole Kidman dénudée ne pourrait-elle pas fuiter ?
Dans plusieurs de ses films (Barry Lyndon, EWS…), Kubrick narrait l’histoire d’un personnage désireux d’ascension sociale, mais qui finissait invariablement par échouer à intégrer une société plus élitiste que la sienne. Stanley a-t-il passé sa vie à travailler pour une caste dirigeante attachée aux pouvoirs de l’occulte, sans jamais réussir à en devenir membre à part entière ? A-t-il essayé de nous en informer, et de nous mettre en garde contre le pari perdant auquel consentent ceux qui signent un pacte avec le Diable ? Ou tout cela n’est-il qu’une métaphore ?
Toujours est-il qu’avant de disparaître, Kubrick aura eu le temps de s’assurer que son film sorte sur les écrans américains le 16 juillet 1999. Soit, au jour près, à la date anniversaire des 30 ans du départ d’Apollo 11 vers la lune…
Reconstitution des faits dans la suite 2806 (attention, une vraie boucherie !)
Conclusion : et si Kubrick, lui, avait cru à la conspiration ?
« [...] tell me, did you never consider the possibility that the whole thing might have been nothing more than a charade? »
Victor Ziegler (Sydney Pollack) à Bill Harford (Tom Cruise), Eyes Wide Shut
Avec sa théorie d’un Kubrick exposant l’histoire secrète d’Apollo 11 au travers de l’adaptation d’un roman d’horreur, Jay Weidner a choisi une stratégie conspirationniste originale. Son approche diffère sensiblement de l’hypothèse reptilienne d’un David Icke : au lieu d’établir une über-théorie, mère de tous les complots, prolifique, polyvalente et infiniment inclusive, Weidner a fait le pari de la spécialisation. Sa thèse compacte vise la cohérence et la surcharge de sens : toutes ses parties doivent se répondre et se soutenir. Il n’inclut pas d’élément qui ne s’insère parfaitement dans le reste de son échafaudage théorique, renforçant la construction.
La puissance de sa thèse tient à la manière dont chacun peut se l’approprier et la mettre à l’épreuve lui-même, s’amusant à en mesurer la validité tout seul, face à son écran. Par ses films et ses articles, exercices réussis de simplification et de vulgarisation, Weidner démocratise l’investigation : il rend accessibles au plus grand nombre théories et « preuves », à vérifier chez soi (amusez-vous à vous repasser tous les films de Kubrick, en quête d’indices cachés !). D’où l’intérêt pour nous de répliquer en mobilisant les connaissances parcellaires de chacun, et l’intelligence de la foule !
Si la thèse de Weidner fonctionne si bien, c’est aussi parce que l’image de Kubrick y participe. Homme de secrets, calculateur et méticuleux, son obsession du contrôle pousse ses admirateurs à voir plus dans ses films qu’il n’a peut-être voulu y mettre. Alors, que savait Kubrick ? Et qui a-t-il essayé de prévenir ? Pourquoi ceux qui sont mis dans la confidence disparaissent souvent d’une mort violente, dans ses films (comme Dick Halloran dans Shining) ? Stanley porte-t-il le poids d’une mort causée par sa faute ? Kennedy a-t-il été assassiné parce qu’il n’était pas prêt à se lancer dans la supercherie d’Apollo 11, ou parce que le réalisateur avait tenté de le prévenir ? (Vous voyez, on peut aller loin comme ça…)
Tenants de la vérité officielle, faites un effort : répondez aux théories du complot par une attitude plus constructive que « c’est du grand n’importe quoi ! » Personne n’y gagne. Détracteurs de l’histoire officielle, n’hésitez pas à nous apporter de nouveaux éléments (plausibles, hein, pas tirés par les cheveux). Et jouez vous-mêmes à prolonger la théorie conspirationniste en méditant cette information trouvée sur Wikipedia : Christiane Kubrick, compagne de Stanley, est la nièce du cinéaste allemand Veit Harlan, connu pour son film de propagande antisémite Le Juif Süss réalisé sous le Troisième Reich... (Ah, bonheur de la sérendipité !)
Sans oublier qu’il existe une théorie médiane, trop rarement discutée. Peut-être Kubrick lui-même ne croyait-il pas à la thèse de l’alunissage d’Apollo 11 ! Analyses flamboyantes à lire ici (l’ensemble du site, très fouillé, mérite le détour).
En attendant, Stephen King (tiens tiens, « SK », les mêmes initiales…) travaille sur une suite à son roman The Shining : Dr. Sleep. Qui reprendra le flambeau de Kubrick pour nous conter la version officieuse des attentats du 11-Septembre dans l’adaptation cinématographique de ce futur roman d’horreur ?
P.S. : Pendant qu’on y est, message à Jean Dujardin : bravo, Loulou ! Mais ne remets en cause ni l’alunissage d’Apollo 11, ni les attentats du 11-Septembre (toujours des histoires de 11, décidément…), sinon Hollywood, la presse et les médias te boufferont tout cru !
Sources et liens pour aller plus loin :
- Traduction en français d’un entretien dément avec Jay Weidner (de Phobos, le satellite « artificiel » de Mars, aux testicules de Dick Cheney, tout y est…)
- Un article du génial site Cracked, qui recense les théories du complot les plus époustouflantes (à ne pas louper : la thèse épatante selon laquelle Harry Potter n’est qu’une œuvre de propagande pro-gay !)
- Site de référence sur le « maître » : entretiens, informations détaillées, essais… De quoi répondre à pas mal de questions, déjà
- Quelques éléments de « trivia » sur Shining (pour garder son esprit critique en éveil)
- Making The Shining, le documentaire tourné par Vivian, la fille de Kubrick, qui ne montre pas un metteur en scène particulièrement tendu (pour un mec soupçonné d’être en train de risquer sa vie à réaliser un énorme coup de bluff…)
- Kubrick était-il juif ? (Sur quoi on tombe sur internet, dites donc)