Dualité onde-corpuscule
Dualité onde-corpuscule
En physique, la dualité onde-corpuscule ou dualité onde-particule est un principe selon lequel tous les objets de l'univers microscopique présentent simultanément des propriétés d'ondes et de particules. Ce concept fait partie des fondements de la mécanique quantique.
Cette dualité tente de rendre compte de l'inadéquation des concepts conventionnels de « particules » ou d'« ondes », pris isolément, à décrire le comportement des objets quantiques. L'idée de la dualité prend ses racines dans un débat remontant aussi loin que le XVIIe siècle, quand s'affrontaient les théories concurrentes de Christiaan Huygens qui considérait que la lumière était composée d'ondes et celle de Isaac Newton qui considérait la lumière comme un flot de particules. À la suite des travaux d'Albert Einstein, Louis de Broglie et bien d'autres, les théories scientifiques modernes accordent à tous les objets une nature d'onde et de particule, bien que ce phénomène ne soit perceptible qu'à des échelles microscopiques.
Onde ou particule, c'est l'absence de représentation plus adéquate de la réalité des phénomènes qui nous oblige à adopter, selon le cas, un des deux modèles alors qu'ils semblent antinomiques (voir infra).
Sommaire
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Introduction
Un des grands problèmes de la physique quantique est de donner des images. En effet, l'être humain a besoin d'images pour réfléchir, pour retenir (voir l'article Psychologie cognitive).
On ne peut se construire des images que par analogie avec ce que l'on connaît, avec notre expérience quotidienne. Ainsi, lorsque l'on s'imagine une onde, il nous vient à l'esprit les vagues sur l'eau ; lorsque l'on s'imagine une particule, il nous vient à l'esprit une bille.
Le problème en physique quantique est que, pour se représenter les objets aux petites échelles ou aux échelles élevées d'énergie (particules élémentaires), il faut faire appel aux deux notions d'ondes et de particules solides, alors qu'elles sont opposées et incompatibles :
Particule | Onde | |
---|---|---|
position ou interaction | localisée, d'extension définie | délocalisée, d'extension infinie dans le temps et l'espace |
propagation | trajectoire continue, avec une vitesse définie et observable | diffusion en même temps dans toutes les directions (son "moment" virtuel n'est pas directement observable) |
dénombrabilité et séparabilité | l'objet est dénombrable, et séparable en objets distincts. | l'objet est indénombrable et inséparable en objets distincts. |
Ceci cause un grand trouble, une incompréhension, et entraîne fréquemment un blocage, notamment lorsque l'on se pose la question : « si une particule est bien localisée hors interaction comment se fait-il qu'elle ne le soit pas lors d'une interaction ? »
La métaphore du cylindre
La métaphore du cylindre est l'exemple d'un objet ayant des propriétés apparemment inconciliables. Il serait à première vue déroutant d'affirmer qu'un objet a à la fois les propriétés d'un cercle et d'un rectangle : sur un plan, un objet est soit un cercle, soit un rectangle.
Mais si l'on considère un cylindre : une projection dans l'axe du cylindre donne un cercle, et une projection perpendiculairement à cet axe donne un rectangle.
De la même manière, « onde » et « particule » sont des manières de voir les choses et non les choses en elles-mêmes.
Notons par ailleurs que dans la description mathématique de la physique quantique, le résultat de la mesure est similaire à une projection géométrique (notion d'observable : l'état de l'objet est décrit par des nombres que l'on peut voir comme des coordonnées dans une base vectorielle, et en géométrie euclidienne, les coordonnées sont la projection de l'objet sur les axes de référence).
C’est l’absence d’équivalent macroscopique sur quoi nous pourrions nous référer qui nous force à penser les objets quantiques comme possédant des attributs contradictoires. Il serait inexact de dire que la lumière (comme tout autre système quantique d’ailleurs) est à la fois une onde et une particule, ce n’est ni l’un, ni l’autre. Le manque d'un vocabulaire adéquat et l'impossibilité de se faire une représentation mentale intuitive des phénomènes à petite échelle nous font voir ces objets comme ayant une nature, par elle-même, antinomique.
Pour lever cet apparent paradoxe et insister sur l'imperfection de nos concepts classiques d'onde et de corpuscule, les physiciens Jean-Marc Lévy-Leblond et Françoise Balibar ont proposé d'utiliser le terme de « quanton » pour parler d'un objet quantique. Un quanton n'est ni une onde, ni un corpuscule, mais peut présenter les deux aspects selon le principe de complémentarité de Bohr.
La gnoséologie cartésienne utilise cette idée pour démontrer que nos sens nous trompent. Descartes prend cet exemple : « Comme aussi une tour carrée étant vue de loin paraît ronde »[1]. Descartes utilise la même métaphore : des objets ou des formes géométriques différents ayant les propriétés de l'un et de l'autre (mais ils ne sont ni l'un, ni l'autre).
Historique du concept
La dualité onde-particule s'est imposée au terme d'une longue histoire où les aspects purement ondulatoires et corpusculaires ont été tour à tour privilégiés. Ces aspects ont tout d'abord été mis en évidence avec les théories de la lumière, avant d'être étendus — au XXe siècle — à tous les objets physiques.
Huygens et Newton
La première théorie complète de la lumière a été établie par le physicien néerlandais Christian Huygens au XVIIe siècle. Il proposait une théorie ondulatoire de la lumière et a en particulier démontré que les ondes lumineuses pouvaient interférer de manière à former un front d'onde se propageant en ligne droite. Toutefois, sa théorie possédait certaines limitations en d'autres domaines et fut bientôt éclipsée par la théorie corpusculaire de la lumière établie à la même époque par Isaac Newton.
Newton proposait une lumière constituée de petites particules, expliquant ainsi simplement les phénomènes de réflexion optique. Au prix de complications considérables, cette théorie pouvait également expliquer les phénomènes de réfraction à travers une lentille, et de dispersion d'un faisceau lumineux à travers un prisme.
Bénéficiant de l'immense prestige de Newton, cette théorie ne fut pas remise en question pendant plus d'un siècle.
Fresnel, Maxwell et Young
Au début du XIXe siècle, les expériences de diffraction faites par Thomas Young et Augustin Fresnel ont démontré l'exactitude des théories de Christiaan Huygens : ces expériences prouvèrent que quand la lumière est envoyée sur un réseau de diffraction, on observe un motif d'interférence caractéristique, très semblable aux motifs résultant de l'interférence d'ondulations sur l'eau; la longueur d'onde de la lumière peut être calculée à partir de tels motifs.
Le point de vue ondulatoire n'a pas remplacé immédiatement le point de vue corpusculaire, mais s'est imposé peu à peu à la communauté scientifique au cours du XIXe siècle, surtout grâce à l'explication en 1821 par Augustin Fresnel du phénomène de polarisation de la lumière que ne pouvait expliquer l'autre approche, puis à la suite de l'expérience menée en 1850 par Léon Foucault sur la vitesse de propagation de la lumière. Ces équations furent vérifiées par maintes expériences et le point de vue de Huygens devint largement admis.
James Maxwell, à la fin du XIXe siècle, expliqua la lumière en tant que propagation d'ondes électromagnétiques avec les équations de Maxwell.
Einstein et les photons
En 1905, Albert Einstein réintroduisit l'idée que la lumière pouvait avoir une nature corpusculaire : il expliqua l'effet photoélectrique, en postulant l'existence des photons, sortes de grains d'énergie lumineuse avec des qualités de particules. Einstein admit que la fréquence ν (nu) de cette lumière, est liée à l'énergie E des photons par la relation de Planck :
où h est la constante de Planck (6,626×10-34J s).
Cette relation prit le nom de relation de Planck-Einstein. Cette vision fut contestée très longtemps, en particulier parce qu'elle ne s'accorde pas facilement avec les comportements spécifiquement ondulatoires tels que la diffraction.
De Broglie
En 1924, dans sa thèse[2], Louis de Broglie affirma que toute matière (et pas seulement la lumière) a une nature ondulatoire. Il associa la quantité de mouvement p d'une particule à une longueur d'onde λ, appelée longueur d'onde de de Broglie :
C'est une généralisation de la relation de Planck-Einstein indiquée ci-dessus, car la quantité de mouvement (ou l'impulsion) d'un photon est donnée par où c est la vitesse de la lumière dans le vide, et (si on remplace p et dans l'équation de de Broglie, on retrouve la relation de Planck-Einstein).
La formule exprimée par de Broglie fut confirmée trois ans après par Clinton J. Davisson et Lester H. Germer. Ceux-ci dirigèrent un faisceau d'électrons qui, contrairement aux photons, ont une masse, vers un réseau de diffraction cristallin : les motifs d'interférence attendus purent ainsi être observés.
Des expériences semblables ont été entreprises depuis avec des protons et même avec des molécules entières, avec notamment l'expérience d'Estermann et Otto Stern en 1929, et la formule a été confirmée dans tous les cas.
De Broglie reçut en 1929 le prix Nobel de physique pour son hypothèse, qui influença profondément la physique de cette époque.
La confirmation la plus spectaculaire est celle qui a été faite en 1999 par des chercheurs de l'Université de Vienne[3], qui ont fait diffracter du fullerène (molécule C60). Dans cette expérience, la longueur d'onde de de Broglie était de 2,5 pm alors que la molécule a un diamètre d'environ 1 nm, soit 400 fois supérieur.
Mise en évidence de la dualité
Une des manières les plus claires de mettre en évidence la dualité onde-particule est l'expérience des fentes de Young. Cette expérience est connue depuis le XIXe siècle, où elle a d'abord mis clairement en évidence l'aspect purement ondulatoire de la lumière. Modifiée de manière adéquate, elle peut démontrer de manière spectaculaire la dualité onde-corpuscule non seulement de la lumière, mais aussi de tout autre objet quantique. Dans la description qui suit, il sera question de lumière et de photons mais il ne faut pas perdre de vue qu'elle est également applicable - du moins en principe - à toute autre particule (par exemple des électrons), et même à des atomes et à des molécules.
L'expérience consiste à éclairer par une source lumineuse un écran percé de deux fentes très fines et très rapprochées. Ces deux fentes se comportent comme deux sources secondaires d'émission lumineuse. Une plaque photographique placée derrière l'écran enregistre la lumière issue des deux fentes (⇐ voir figure 1).
Ces deux sources interfèrent et forment sur la plaque photographique ce que l'on appelle une figure d'interférence (voir figure 2 ⇒). Cette figure est caractéristique d'un comportement ondulatoire de la lumière (voir l'article interférence). Si l'expérience en reste à ce niveau, l'aspect corpusculaire n'apparaît pas.
En fait, il est possible de diminuer l'intensité lumineuse de la source primaire de manière à ce que la lumière soit émise photon par photon. Le comportement de la lumière devient alors inexplicable sans faire appel à la dualité onde-corpuscule.
En effet, si on remplace la source lumineuse par un canon qui tire des micro-billes à travers les deux fentes (par exemple), donc de "vraies" particules, on n'obtient aucune figure d'interférence, mais simplement une zone plus dense, en face des fentes (⇐ voir figure 3).
Or, dans le cas des photons, on retrouve la figure d'interférence reconstituée petit à petit, à mesure que les photons apparaissent sur la plaque photographique (figure 4 ⇒). On retrouve donc une figure d'interférence, caractéristique des ondes, en même temps qu'un aspect corpusculaire des impacts sur la plaque photographique.
L'interprétation de cette expérience est difficile, car si on considère la lumière comme une onde, alors les points d'impacts sur la plaque photographique sont inexplicables; on devrait voir dans ce cas très faiblement, dès les premiers instants, la figure d'interférence de la figure 2, puis de plus en plus intense. Au contraire, si on considère la lumière comme étant exclusivement composée de particules, alors les impacts sur la plaque photographique s'expliquent aisément, mais la figure d'interférence ne s'explique pas : comment et pourquoi certaines zones seraient privilégiées et d'autres interdites à ces particules ?
Force est donc de constater une dualité onde-particule des photons (ou de tout autre objet quantique), qui présentent simultanément les deux aspects.
Interprétation de la dualité
En mécanique quantique, la dualité onde-particule est expliquée comme ceci : tout système quantique et donc toute particule est décrit par une fonction d'onde qui code la densité de probabilité[4] de toute variable mesurable (nommée aussi observable). La position d'une particule est un exemple d'une de ces variables. Donc, avant qu'une observation soit faite, la position de la particule est décrite en termes d'ondes de probabilité.
Les deux fentes peuvent être considérées comme deux sources secondaires pour ces ondes de probabilité : les deux ondes se propagent à partir de celles-ci et interfèrent (voir schéma de droite ⇒).
Sur la plaque photographique, il se produit ce que l'on appelle une réduction du paquet d'onde, ou une décohérence de la fonction d'onde : le photon se matérialise, avec une probabilité donnée par la fonction d'onde : élevée à certains endroits (frange brillante), faible ou nulle à d'autres (franges sombres).
Cette expérience illustre également une caractéristique essentielle de la mécanique quantique : jusqu'à ce qu'une observation soit faite, la position d'une particule est décrite en termes d'ondes de probabilité, mais après que la particule est observée (ou mesurée), elle est décrite par une valeur fixe.
La manière de conceptualiser le processus de la mesure est l'une des grandes questions ouvertes de la mécanique quantique. L'interprétation standard est l'interprétation de Copenhague, mais la théorie de la décohérence est aussi de plus en plus considérée par la communauté scientifique. Voir l'article Problème de la mesure quantique pour une discussion approfondie.
Notes
- René Descartes (1637). La dioptrique, Discours 6e: De la vision
- (fr) Thèse de Louis de Broglie [archive]
- (en) M. Arndt, O. Nairz, J. Voss-Andreae, C. Keller, G. van der Zouw, A. Zeilinger, « Wave-particle duality of C60 », Nature, vol. 401, 1999, p. 680-682
- C'est-à-dire la probabilité que la variable prenne une valeur donnée à un endroit et à un instant donné
Voir aussi
Articles connexes
- Photon
- Rayons X
- Potentiel quantique
- Électromagnétisme
- Erwin Schrödinger
- Niels Bohr
- Optique géométrique
Lien externe
- Diffraction and Interference with Fullerenes: Wave-particle duality of C60 (Université de Vienne)
- Animation, applications et recherches liées à la dualité onde-corpuscule (Université Paris Sud)