Rasoir d'Ockham

 

Rasoir d'Ockham

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Le rasoir d'Ockham ou rasoir d'Occam est un principe de raisonnement philosophique entrant dans les concepts de rationalisme et de nominalisme. Son nom vient du philosophe franciscain Guillaume d'Ockham (XIVe siècle), bien qu'il fut connu avant lui. On le trouve également appelé principe de simplicité, principe d'économie ou principe de parcimonie (en latin lex parsimoniae). Il peut se formuler comme suit :

Pluralitas non est ponenda sine necessitate
« Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité. »

L'énoncé Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem, littéralement « Les entités ne doivent pas être multipliées par delà ce qui est nécessaire », est une variante souvent attribuée à Guillaume d'Ockham sans cependant qu'il y en ait trace dans ses écrits.

Une formulation plus moderne est que « les hypothèses suffisantes les plus simples sont les plus vraisemblables ». C'est un des principes heuristiques fondamentaux en science, sans être pour autant à proprement parler un résultat scientifique.

L'induction de Solomonoff est une formalisation mathématique et une preuve[1],[2],[3],[4],[5] du rasoir d'Occam, sous l'hypothèse que l'environnement suit une loi de probabilité inconnue mais calculable. Les théories calculables les plus courtes ont un plus grand poids dans le calcul de la probabilité de l'observation suivante, en utilisant toutes les théories calculables qui décrivent parfaitement les observations précédentes.

Sommaire

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Historique [modifier]

  • Aristote : « Il vaut mieux prendre des principes moins nombreux et de nombre limité, comme fait Empédocle » (Physique, I, 4, 188a17).
  • Adage scolaire dérivé d'Aristote : « C'est en vain que l'on fait avec plusieurs ce que l'on peut faire avec un petit nombre. Frustra fit per plura quod potest fieri par pauciora. » Cité par Guillaume d'Ockham (Summa totius logicae, I, 12) (1323)
  • Guillaume d'Ockham (1319) : « Une pluralité ne doit pas être posée sans nécessité. Pluralitas non est ponenda sine necessitate » (Quaestiones et decisiones in quatuor libros Sententiarum cum centilogio theologico, livre II) (1319)
  • Étienne Bonnot de Condillac (1715 -1780), en 1746, utilisa pour la première fois l’expression « rasoir des nominaux » dans une note en bas de page de son livre Essai sur l'origine des connaissances humaines (Ire part., sect. V, § 5, note a).
  • Ernst Mach : « Les savants doivent utiliser les concepts les plus simples pour parvenir à leurs résultats et exclure tout ce qui ne peut être perçu par les sens. »[réf. nécessaire]
  • Le principe de Morgan (1852-1936) énonce qu'« une activité comportementale ne doit en aucun cas être interprétée comme la conséquence d'une faculté mentale élaborée, si la même activité comportementale peut être conçue comme le fruit d'une activité mentale moins élevée. »[réf. nécessaire]
  • Bertrand Russell (1906) : le rasoir d'Ockham est « la maxime méthodologique suprême lorsqu'on philosophe » (On the Nature of Truth)[réf. incomplète]
  • Ludwig Wittgenstein (1921): « Si un signe n'a pas d'usage, il n'a pas de signification. Tel est le sens de la devise d'Occam. (Si tout se passe comme si un signe avait une signification, c'est qu'alors il en a une.) » (Tractatus logico-philosophicus, 3.328).

Fondements du principe [modifier]

Aussi appelé « principe de simplicité », « principe de parcimonie », ou encore « principe d'économie », il exclut la multiplication des raisons et des démonstrations à l'intérieur d'une construction logique.

Le principe du rasoir d'Ockham consiste à ne pas utiliser de nouvelles hypothèses tant que celles déjà énoncées suffisent, à utiliser autant que possible les hypothèses déjà faites, avant d'en introduire de nouvelles, ou, autrement dit, à ne pas apporter aux problèmes une réponse spécifique, ad hoc, avant d'être (pratiquement) certain que c'est indispensable, sans quoi on risque d'escamoter le problème, et de passer à côté d'un théorème ou d'une loi physique. « Nous ne devons admettre comme causes des choses de la nature au-delà de ce qui est à la fois vrai et suffisant à en expliquer l'apparence » (Isaac Newton). On traduit souvent ce principe sous la forme d'une préférence de l'hypothèse « la plus simple » parmi toutes celles qui sont échafaudées, mais il convient d'approfondir différents points :

  • ce n'est pas (seulement) la simplicité d'une hypothèse qui compte ; étant donné un ensemble déterminé de conclusions, c'est la simplicité (faible complexité) de l'ensemble des hypothèses faites pour aboutir à ces conclusions. Par exemple, les mathématiciens ont cherché à déduire le cinquième postulat d'Euclide à partir des quatre premiers, ce qui s'est avéré finalement vain et a conduit à désigner ce postulat comme le cinquième axiome.
  • l'hypothèse d'un contrôle divin permanent sur les mouvements célestes, paraît simple sous réserve qu'on y postule l'existence d'un Dieu… complexe, mais ne permet aucune conclusion : les choses seront ce qu'elles seront, c'est tout. Louis Pauwels fera remarquer d'ailleurs que « Dieu existe » signifie au sens strict « l'Être existe », et en conséquence « Il y a il y a » [6].
  • À l'inverse, le même principe est utilisé pour affirmer que la sélection naturelle est plus simple pour expliquer la vie que l'existence d'un dieu, selon Richard Dawkins, éthologiste en évolution[7].
  • la simplicité de l'interprétation en univers multiples d'Hugh Everett, postule de même implicitement un espace de fonctionnement complexe, avec un univers qui ne cesse de fourcher exponentiellement à chaque temps de Planck. Seule la confirmation ou l'infirmation de prédictions (David Deutsch) permettra d'en établir ou non une réalité physique distincte de ce que donne le modèle de Copenhague. Elle se confond pour le moment avec lui en termes opérationnels.
  • l'idée du rasoir n'est pas de supprimer purement et simplement des principes pour en diminuer le nombre, mais de densifier ceux qui restent afin que les autres soient subsumés par eux.
  • le rasoir est illustré notamment par la théière de Russell.

Rasoir d’Ockham et science moderne [modifier]

Le rasoir d'Ockham n'est pas un outil très incisif, car il ne donne pas de principe opératoire clair pour distinguer entre les hypothèses en fonction de leur complexité[8] : ce n'est que dans le cas où deux hypothèses ont la même vraisemblance (ou poids d'évidence) qu'on favorisera l'hypothèse la plus simple (ou parcimonieuse). Il s'agit en fait d'une application directe du théorème de Bayes, où l'hypothèse la plus simple a reçu la probabilité a priori la plus forte. Des avatars modernes du rasoir sont les mesures d'information du type AIC[9], BIC[10] ou DIC[11] où des mesures de pénalité de la complexité sont introduites dans la log-vraisemblance.

Par ailleurs, si le rasoir d'Ockham est une méthode efficace pour obtenir une bonne théorie prédictive, il ne garantit aucunement la justesse d'un modèle explicatif. Notamment le rasoir d'Ockham peut souvent inviter à négliger la différence entre causalité et corrélation.

Cette nuance entre théorie prédictive et théorie explicative est souvent illustrée par ce dialogue célèbre mais probablement apocryphe[12] :

Napoléon : Monsieur de Laplace, je ne trouve pas dans votre système mention de Dieu.
Laplace : Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse.
D'autres savants ayant déploré que Laplace fasse l'économie d'une hypothèse qui avait justement « le mérite d'expliquer tout », Laplace répondit cette fois-ci à l'Empereur :
Laplace : Cette hypothèse, sire, explique en effet tout, mais ne permet de prédire rien. En tant que savant, je me dois de vous fournir des travaux permettant des prédictions[13].

La science actuelle, quand elle se satisfait de modèles prédictifs, fait bon usage du rasoir d'Ockham. Mais utiliser celui-ci pour choisir une théorie explicative est dangereux dans la mesure où une mauvaise théorie explicative peut sérieusement retarder les développements ultérieurs.

Ludwig Wittgenstein, dès le Tractatus logico-philosophicus a opéré une importante critique d'un certain scientisme (notamment russellien) qui consistait à considérer la devise d'Occam comme une « maxime de la philosophie scientifique » (cf. Russell, Notre connaissance du monde extérieur), qui nous autoriserait de pourchasser les entités surnuméraires. Or pour Wittgenstein, ce n'est certainement pas une maxime que l'on peut se proposer d'utiliser (parce qu'alors on pourrait la refuser) : c'est bien une « devise », elle s'applique d'elle-même :

« 3.328 - Si un signe n'a pas d'usage, il n'a pas de signification. Tel est le sens de la devise d'Occam.
(Si tout se passe comme si un signe avait une signification, c'est qu'alors il en a une.) »[14]
« 5.47321 - La devise d'Occam n'est naturellement pas une règle arbitraire, ou justifiée par son succès pratique : elle déclare que les unités non nécessaires d'un système de signes n'ont aucune signification.
Des signes qui ont un seul et même but sont logiquement équivalents, des signes qui n'ont aucun but sont logiquement sans signification. »[15]

Anti-rasoirs [modifier]

Walter Chatton (de) était un contemporain de Guillaume d'Ockham qui contestait la théorie de ce dernier et proposa son anti-rasoir[16]:

"Si 3 choses ne sont pas suffisantes pour vérifier une proposition affirmative sur des choses, une 4ème doit être ajoutée, et ainsi de suite."

Plus tard, le mathématicien Karl Menger formule une "loi contre l'avarice" ("Les entités ne doivent pas être réduites au point d'insuffisance" et plus généralement: "Il est vain d'essayer de faire avec moins ce qui requiert plus") et démontre que parfois trop de concepts différents sont unis sous un seul terme (e.g., "variable").

Concepts similaires [modifier]

Il existe de nombreux principes similaires, comme par exemple :

  • Le principe d'économie cognitive[17]
  • le principe de la moindre action
  • le phénomène de surapprentissage en apprentissage (machine learning), domaine de l'informatique
  • le principe cosmologique (l'observateur n'a pas de raison de croire a priori qu'il occupe une position privilégiée).

Citations [modifier]

  • Léonard de Vinci : « La simplicité est la sophistication suprême. »
  • Dan Simmons[18], rejetant le Rasoir d'Ockham au profit d'un axiome inverse : « Toutes choses étant égales par ailleurs, la solution la plus simple est généralement une ânerie. »
  • H. L. Mencken : « Pour chaque problème complexe, il existe une solution simple, directe... et fausse ».
  • Les Shadoks : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »
  • Antoine de Saint-Exupéry : « Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n'y a plus rien à ajouter, mais quand il n'y a plus rien à retrancher », Terre des hommes ch.III, 1939.
  • Hubert Reeves, Patience dans l’azur : « Si deux théories expliquent également bien un résultat, il convient de “trancher” en faveur de la plus simple. »
  • Ludwig Mies van der Rohe  : « Less is more »
  • Lucien Jerphagnon, Histoire des grandes philosophies, 1980 : « [...] Voilà qui permet de comprendre ce fameux principe d'économie, passé à la postérité sous le nom de « rasoir d'Ockham ». « Il ne faut jamais poser une pluralité sans y être contraint par la nécessité » ou comme on l'énonce souvent : « il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité ». C'est en vertu de ce principe qu'Ockham pourchasse dans les moindres recoins de la philosophie et de la théologie les pseudo-essences et pseudo-causes que ses prédécesseurs avaient inutilement multipliées. »

Notes et références [modifier]

  1. Induction: From Kolmogorov and Solomonoff to De Finetti and Back to Kolmogorov JJ McCall - Metroeconomica, 2004 - Wiley Online Library.
  2. Foundations of Occam's razor and parsimony in learning from ricoh.comD Stork - NIPS 2001 Workshop, 2001
  3. Occam's razor as a formal basis for a physical theory from arxiv.orgAN Soklakov - Foundations of Physics Letters, 2002 - Springer
  4. Beyond the Turing Test from uclm.es J. Hernandez-Orallo - Journal of Logic, Language, and …, 2000 - dsi.uclm.es
  5. On the existence and convergence of computable universal priors from arxiv.org M Hutter - Algorithmic Learning Theory, 2003 - Springer
  6. Louis Pauwels, Ce que je crois, Grasset, 1974.
  7. Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu (2008), version originale : The God Delusion en 2006.
  8. C'est ainsi qu'on l'a allégué contre la théorie microbienne des maladies contagieuses : De Rumilly considérait à ce sujet qu'il était inutile « de multiplier les êtres sans nécessité et d'inventer une nouvelle espèce de corps inconnue à tous les hommes ». (Cité par P. Pinet, Pasteur et la philosophie, Paris, L'Harmattan, 2005, p. 173, qui renvoie à Chicoyneau, Verny et Soulier, Observations et réflexions touchant la nature, les événements, et le traitement de la peste de Marseille, Lyon, 1721, p. 136.
  9. Voir (en) en:Akaike information criterion.
  10. Voir (en) en:Bayesian information criterion
  11. Voir (en) en:Deviance information criterion.
  12.  [archive]Hervé Faye, Sur l'origine du monde, théories cosmogoniques des anciens et des modernes, 1884, p. 109-111.
  13. Cité par Ian Stewart et Jack Cohen The Science of Discworld.
  14. L. Wittgenstein Tractatus logico-philosophicus, 3.328 (trad. G.-G. Granger, Paris, Gallimard, Tel, 2004). ISBN 2-07-075864-8.
  15. L. Wittgenstein Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 5.57321.
  16. Voir Stanford Encyclopedia of Philosophy, art. Walter Chatton, en ligne [archive].
  17. Anne Theissen, Le choix du nom en discours, Librairie Droz, 1997 [archive] page 66 et suiv.
  18. L'Épée de Darwin (Darwin's Blade - 2000 - Éditions du Rocher ou Folio policier 324)

Annexes [modifier]

Bibliographie [modifier]

 

  • Karl Menger, « A Counterpart of Ockham's Razor in Pure and Applied Mathematics: Ontological Uses », Synthese, vol. 12, no 4, 1960, p. 415 [lien DOI] 

Articles connexes [modifier]



10/06/2013
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